Accueil > Actu > Tourisme > Voyage au travers des siècles dans l’Ouest des Vosges

Voyage au travers des siècles dans l’Ouest des Vosges

Le 14 juin 2023 par Francoise Fontanelle
Voyage au travers des siècles dans l'Ouest des Vosges
L’amphithéâtre gallo-romain de Grand, est le huitième plus grand amphithéâtre du monde romain. Construit à la fin du premier siècle après J.-C., il pouvait accueillir environ 17 000 spectateurs et témoignait de l’importance de la mythique cité antique de Grand.
© CD88 - C. Voegelé

La cité antique de Grand et le village de Jeanne d’Arc sont deux sites incontournables de l’Ouest des Vosges. Entre enquête archéologique et recherche historique, Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef du patrimoine au Conseil départemental des Vosges, nous révèle, en deux volets, ce qui fait leur intérêt exceptionnel pour une science née il y a deux siècles et pour les historiens.

Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef du patrimoine au Conseil départemental des Vosges.
Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef du patrimoine au Conseil départemental des Vosges.

Comment s’est faite la découverte du passé gallo-romain de Grand ?

Au XVIIIe siècle, un antiquaire, le comte de Caylus, s’est intéressé aux antiquités celtiques et antiques, comme on les appelait à l’époque. Il avait eu connaissance des ruines d’un édifice de spectacle important à Grand et était venu sur le site pour faire des relevés, à la fois du théâtre (l’amphithéâtre ayant d’abord été identifié comme tel à cause de sa forme en hémicycle) et d’une partie du village où il y avait repéré la présence de vestiges.

Le site n’était donc pas inconnu…

Avant le XVIIe siècle, on n’avait pas de témoignages mais la mémoire des vestiges du passé était conservée. Par exemple, l’amphithéâtre a toujours été visible du fait de la masse de pierres qu’il représentait. D’ailleurs, jusqu’en 1960, il était appelé « le château » ou encore « La roche », le nom du lieu-dit, car on y récupérait des blocs de pierres pour construire les maisons dans le village. La ville antique, qui couvrait plus de 70 ha à son apogée, – à l’inverse de Paris, Reims, Besançon ou Metz dont l’histoire urbaine ne s’est jamais arrêtée – n’a pas été recouverte par d’autres habitats plus importants que ce qu’elle était à l’origine. Les vestiges n’ont donc jamais été effacés de la surface du sol. On pense qu’au Ve siècle, lorsque la ville antique a dû péricliter, le site a été fréquenté par les Mérovingiens et les Carolingiens, Ce type de réutilisation est fréquente pour le haut Moyen Age.

Qu’est-ce qui a suscité l’intérêt scientifique pour ce site ?

Dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, on découvre Pompéi et Herculanum. En France, les vestiges plus visibles sont ceux de l’Antiquité ; les Gaulois et les Mérovingiens ayant laissé peu de traces. Ensuite, après la Révolution française, l’historien Camille Jullian va s’intéresser à cette période. On assiste à une seconde période d’engouement où l’on s’attache à dresser l’inventaire du passé glorieux de la France car les destructions, pendant la période révolutionnaire, ont été catastrophiques pour le patrimoine et il est urgent de sauver ce qu’il en reste. C’est à Jean-Baptiste Prosper Jollois – qui avait fait la campagne d’Égypte auprès de Bonaparte – nommé ingénieur dans le Département des Vosges, à partir de 1819, que la commission des antiquités du Département confie ce travail d’inventaire. Tout de suite, il s’intéresse à Grand, le livre du Comte de Caylus l’ayant mis sur la voie. Il reprend l’étude de l’amphithéâtre, en dresse un plan et fait réaliser une cartographie du village qui répertorie les différents vestiges visibles à l’époque, comme les ruines de l’enceinte antique ou une salle qu’il interprète comme étant une prison romaine. Il est le premier à s’intéresser aux conduites d’eau présentes dans le sous-sol de Grand. Il en dresse un premier plan et en fait dégager un tronçon. Même s’il n’est resté dans les Vosges que durant deux années, son travail est considérable. Et, surtout, il va trouver des éléments qui suggèrent la présence d’un culte au dieu Apollon Grannus, dieu des arts et de la divination.

L'Amphithéâtre de Grand vue d'avion.
Amphithéâtre de Grand. ©CD88 – C. Voegelé

L’hypothèse sur le culte d’Apollon s’est-elle révélée exacte ?

Les recherches de Jollois sont publiées en 1843, dans un ouvrage qui va nourrir l’intérêt d’Édouard Salin *, propriétaire du Château de Montaigu à Jarville. En 1926, l’historien Camille Jullian relie le sanctuaire de Grand à un texte du Ve siècle où l’Empereur Constantin fait mention de sa visite dans le « plus beau sanctuaire du monde », sans le nommer. Entre Lyon et Trèves, il se serait détourné de son chemin pour s’arrêter dans ce sanctuaire où il aurait rencontré en songe le dieu Apollon qui lui aurait promis trente années de gloire… Il aurait pu s’agir de dix mille endroits différents, or Camille Jullian est persuadé qu’il s’agit de Grand. Tout cela va nourrir « le roman de Grand » et animer Édouard Salin qui, en 1960, reprend les recherches qu’il a effectuées à Grand dans sa jeunesse. Va-t-il le trouver ? Lui considère que oui. Ce qui est certain, c’est qu’il met au jour – à côté de la mosaïque, découverte par Félix Voulot en 1883 – des centaines de fragments de sculptures… Après ses premières fouilles près de la basilique, il impulse de nouvelles recherches dans l’édifice de spectacle. L’amphithéâtre, qui n’a pas fait l’objet de recherches depuis Jollois en 1820, pour mettre le site en valeur. Il recrute Roger Billoret, enseignant à l’université de Nancy, qui, avec Jean-Paul Bertaux, va initier le dégagement de l’amphithéâtre qui s’achèvera 30 ans plus tard.

Les recherches ?

Dans les années 1980, Jean-Paul Bertaux, ingénieur d’études au ministère de la Culture, explore les puits et reprend le dossier des aqueducs, ouvert par Jollois. Il mène des recherches innovantes sur les puits et les galeries et trouve beaucoup d’objets remarquables, dont les célèbres tablettes zodiacales. André Malraux, passionné par cette découverte, demandera à ce qu’un exemplaire soit exposé au Musée d’Archéologie Nationale au château de Saint-Germain-en-Laye. En s’intéressant à ces aqueducs, il s’aperçoit que plusieurs convergent vers l’église Sainte-Libaire, dont les parties les plus anciennes datent de la fin du XVe siècle. Dans le cadre d’un mécénat porté par EDF, il fait venir des géophysiciens pour réaliser des sondages sous l’édifice. Au lieu des vestiges auxquels on s’attendait, cette prospection a montré la présence d’une source comblée par d’importants dépôts de sédiments, mais qui avait été remblayée, ainsi que la présence de bassins autour de l’église. Très récemment encore, en 2020, on a découvert une conduite en rapport avec ces aménagements, mais on ne connaît pas bien les abords de l’église car les vestiges sont recouverts par 3 à 4 mètres de sédiments et restent inaccessibles…

Le site conserve encore bien des mystères…

Parmi les aspects énigmatiques, il y a le fait que l’église est située au centre de la ville antique, laissant à penser que la source qui se situait en dessous constituait un point focal de toute l’agglomération. Cela pourrait être en rapport avec la forme circulaire, plutôt atypique, du village actuel de Grand. On se demande si cette forme circulaire est en rapport avec la ville antique et la présence d’au moins une voie romaine de forme concentrique. Car si l’on part du centre de la forme radioconcentrique, on s’aperçoit que la source a certainement été un point important pour organiser toute la ville et que l’amphithéâtre et l’enceinte de 18 ha sont compris dans ce cercle. Nous n’avons pas encore toutes les pièces du puzzle, mais on peut déjà voir que c’est tout à fait original par rapport à ce que nous connaissons de l’urbanisme romain qui, en général, ne conçoit que l’organisation orthogonale.

Site de fouille à Grand.
Chantier de fouilles à Grand.

Cette source serait donc à l’origine du site ?

C’est ce qui aurait motivé l’installation d’une ville sur un plateau calcaire sans eau. Dans 80 % des cas, les villes antiques sont toujours implantées au bord d’une rivière ou d’un fleuve, les ressources en eau étant essentielles pour l’artisanat mais aussi pour les thermes. On sait qu’il y avait au moins trois ensembles thermaux à Grand, or l’eau de pluie ne pouvait suffire à les alimenter. Il a donc fallu aller chercher l’eau dans le sous-sol grâce au réseau souterrain pour capter des sources – ce qui fait l’objet des recherches actuelles. L’année dernière, nous avons commencé une fouille à côté de la basilique pour reprendre, avec les méthodes actuelles, un site qui avait été fouillé il y a 50 ans.

Le site est ouvert au public, comment se visite-t-il ?

En 2021, nous avons organisé un parcours de deux kilomètres où une quinzaine de panneaux permettent de découvrir l’ensemble de l’agglomération dans ses différents aspects et de lire, dans le paysage, les traces de ces différents vestiges. Outre l’amphithéâtre et la mosaïque, un véritable petit musée présente l’histoire des découvertes, les singularités de cette agglomération, ainsi que d’importantes collections d’objets qui témoignent de la vie quotidienne – dont des objets en bois et en os assez rares, qui ont été conservés dans les puits – ainsi que des sculptures. Précisons également que le chantier de fouille sera exceptionnellement ouverts au public lors des Journées Européennes de l’archéologie puis du
3 au 28 juillet, pendant la campagne de fouille.

L'Amphithéâtre de Grand vue d'avion.
©CD88 – C. Voegelé

Découvrir Grand : Le circuit découverte

Une randonnée pédestre formant une boucle d’environ 2 km au départ de l’amphithéâtre permet de visiter le jardin archéologique des thermes de l’amphithéâtre, la basilique et sa mosaïque, Les panneaux permettent d’approfondir les connaissances et d’appréhender cet héritage antique que l’œil ne peut pas toujours percevoir. Accessible en famille, ce parcours peut être prolongé, pour les randonneurs, par les nombreux sentiers et GR de Pays aménagés le long des anciennes voies romaines.

Grand la gallo-romaine
4 rue de la Mosaïque 88 350 Grand
Tél. 03 29 06 77 37
Toutes les infos sur : grandlagalloromaine.vosges.fr et www.facebook.com/GrandDomremy

« Vivez l’Histoire en Grand »

  • Les Journées européennes de l’archéologie
    Samedi 17 et dimanche 18 juin de 10 h à 18 h
    Gratuit
  • Les reconstitutions historiques à l’amphithéâtre 
    Présentation des campements et des activités civiles et militaires  avec la participation de deux compagnies de reconstitutions historiques : « Les Herculiani » et « La Cité des Leuques ». Équipements avec manipulations, démonstrations de manœuvres, techniques de combats, entraînement militaire interactif avec le public. 
    Partage de savoirs et savoir-faire avec les artisans de l’époque antique : cartographie antique, la médecine gallo-romaine, le textile, la coiffure, la peinture sur bouclier… 
    De 10 h à 18 h. 
  • Les fouilles du Grand Jardin à proximité de la mosaïque 
    Faites le point sur l’actualité archéologique du site avec une visite guidée des fouilles, suivie de la découverte des outils et méthodes des archéologues, de la fouille à l’étude du mobilier en passant par la documentation du site. 
    Toutes les heures, des sessions de fouilles destinées à tous les publics ainsi que des ateliers dédiés à la découverte du dessin d’objets archéologiques et au relevé de vestiges architecturaux seront encadrées par des archéologues professionnels. 
    De 10 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h 30

Village de Grand vue d'avion.
Village de Grand vue d’avion. ©CD88 – Thierry Dechezleprêtre

Un article réalisé en partenariat avec le Magazine Tandem, à consulter : ici

Menu
logo facebook logo instagram logo twitter logo linkedin