Escrime : Éléa Jouve, l’étoile montante spinalienne, trace sa route vers les sommets

Elle est née à Épinal, formée dans un club local et familial. Aujourd’hui, elle affronte les meilleures mondiales sous la tunique de l’équipe de France seniors. À 20 ans, Éléa Jouve impressionne par son parcours, son humilité et son attachement à ses racines vosgiennes. Entre compétitions internationales et vie d’étudiante, rencontre avec une jeune femme qui incarne avec passion les valeurs du sport et du territoire.
Quand tu repenses à tes débuts à l’épée, à Épinal, est-ce que tu t’imaginais un jour vivre tout ça ?
Non, je ne pense pas (rires) ! D’ailleurs, je pense que toute personne qui commence un sport, quand il est petit, ne voit pas les résultats, les sélections, etc. Ça se fait petit à petit. Moi, j’ai aimé la compétition dès le début. Au départ, j’ai rêvé des championnats de France, puis d’Europe, ensuite du monde, etc. Mais au début, non, je ne m’imaginais pas forcément vivre tout ça.
Quelle image, émotion ou moment marquant retiens-tu de ces dernières semaines très chargées ?
Si je dois en retenir un, c’est à Lausanne, le moment où je me rends compte que je gagne mon quart de finale. Ça me permet de monter sur le podium. Je savais que c’était bien parti pour la sélection aux championnats d’Europe U23 en Estonie fin avril. Finalement, ça s’est confirmé. J’en étais vraiment fière, parce qu’on est 6 ou 7 favorites, sur plus d’une centaine de U23 dans l’année, à se battre pour seulement 4 places. Les championnats d’Europe U23, c’est un niveau élevé, mais on a une bonne équipe. L’année dernière, on a fini deuxièmes. J’espère qu’on fera encore un podium cette année !
Tu as donc ton billet pour les championnats d’Europe U23, qui auront lieu du 25 au 27 avril en Estonie. Quels sont tes objectifs pour cette compétition, et comment te prépares-tu ?
Je me prépare comme pour toutes les compétitions, avec envie et motivation. Je ne change pas la structure de mes entraînements pour ne pas me déstabiliser : je n’en fais ni plus, pour éviter la fatigue, ni moins, car ça reste une compétition importante. Concernant les objectifs, le niveau est tellement élevé dans ce genre de compétition que je préfère ne pas me fixer de but trop précis. Mais évidemment, l’envie est bien là
— je ne vais pas le cacher — j’aimerais ramener une médaille, que ce soit en individuel ou en équipe. En escrime, il faut savoir que réussir, ce n’est pas forcément gagner une médaille : on peut, par exemple, aller jusqu’en quart de finale et perdre contre la future championne d’Europe. Je veux surtout profiter de l’instant, car c’est une expérience que je ne revivrai peut-être pas.
Cette montée en puissance te donne-t-elle envie de viser plus haut pour la suite de ta carrière, notamment au sein de l’équipe de France seniors ?
Oui, forcément. J’aimerais déjà rester dans ce groupe de 12. C’est un groupe très restreint, donc les places sont chères. Je vais tout faire pour atteindre les Jeux de 2028 à Los Angeles. Notre sélection se fait uniquement sur l’année des JO, donc je vais bien me préparer, et tout faire pour rester dans ce groupe France. C’est un objectif à long terme.
Tu n’as que 20 ans, et tu fais déjà partie des meilleures Françaises de ta génération. Tu peux donc légitimement rêver des Jeux Olympiques…
Oui, j’en rêve ! On en rêve tous. D’autant plus que les derniers JO se sont passés en France, donc on s’est encore plus rendu compte de ce que ça représente. Lors des autres Jeux, généralement il y avait le décalage horaire, c’était parfois compliqué à suivre. Là, en France, ça m’a fait rêver encore plus qu’avant ! Les filles qui ont participé aux JO 2024 devaient, pour la plupart, arrêter, mais elles continuent finalement. Je pense que c’est dur d’arrêter son sport une fois qu’on est lancé. Les places vont donc être chères, mais on va essayer de tout donner, et on verra bien !
Dans mon club, je sens qu’on me soutient, physiquement et mentalement, je ne peux pas avoir mieux.
Tu es restée fidèle à ton club formateur, la Société d’Escrime Spinalienne. C’est rare à ton niveau. Qu’est-ce que ça dit de toi, et de ton lien avec ce club ?
« J’ai un lien fort avec le club, c’est certain. Cela vient aussi du fait que ce soit mon papa le maître d’armes, et que le club me soutienne depuis toutes ces années, que ce soit financièrement ou moralement. Quand on y est depuis l’âge de 3 ans, c’est impossible de m’imaginer ailleurs, dans un autre club, ou même de m’entraîner dans une autre structure. Dans mon club, je sens qu’on me soutient, physiquement et mentalement, je ne peux pas avoir mieux. D’ailleurs, je ne me vois jamais quitter ce club. Sans lui, je ne serais pas là. Comme je le disais, rien que sur le plan financier, on n’a pas beaucoup d’aides en escrime, il faut trouver des partenaires, etc. Alors je suis très reconnaissante pour tout cela. J’en profite pour remercier La Confiserie Bressaude, qui est mon seul partenaire privé. »
Tu représentes aujourd’hui les Vosges au plus haut niveau. Est-ce une fierté particulière de porter ton département sur la scène internationale ?
« Ah oui, c’est sûr que c’est une fierté ! Et au-delà de ça, quand je pars en Coupe du monde seniors, je représente carrément un pays tout entier (rires). Je ressens encore plus cette fierté quand je suis en équipe de France. Me dire que parmi les 12 sélectionnées, il y a une Vosgienne, c’est énorme pour moi. Je représente ma ville, mon département, et mon pays. »
On imagine que ta vie est bien remplie entre les entraînements, les déplacements, les compétitions… et les études à Nancy ! Comment trouves-tu ton équilibre ?
« Je suis catégorisée auprès de mes amis comme la fille qui a une double vie (rires) ! Ce n’est pas pareil de gérer les études et l’escrime, ce sont deux choses différentes, mais il faut réussir à concilier les deux. Quand je pars en compétition, je peux parfois manquer une semaine de cours, donc il faut rattraper. Parfois, lors de mes compétitions, je sais qu’il y a une soirée où je ne vais possiblement pas sortir pour garder du temps pour revoir mes cours. C’est beaucoup de concessions, mais ça apporte aussi beaucoup de joie. Et puis je suis passionnée par les deux, je n’ai pas de préférence, je me donne à fond. Je fais ça depuis le lycée, combiner études et escrime, donc je commence à être habituée. »
Tu aurais pu mettre les études entre parenthèses pour te consacrer entièrement au sport. Qu’est-ce qui te pousse à continuer malgré ce rythme exigeant ?
« Je sais aussi qu’il faut savoir souffler. J’arrive à avoir une vie sociale, j’ai des amis compréhensifs, je fais en sorte de préserver ma santé mentale. Beaucoup de filles lâchent. Certaines n’ont même pas les études pour se “rattraper”. Pour ma part, pour l’instant, ça va. Je connais une fille qui a eu les ligaments croisés. Si on n’a pas construit une vie à côté, avec des études et des amis, c’est compliqué. Moi, j’ai dû arrêter l’escrime pendant deux mois à cause d’une blessure. Je remercie au passage mon médecin, le docteur Danet, c’est grâce à lui que j’ai pu reprendre ma saison. Mais c’est là qu’on se rend compte que, quand il n’y a plus l’escrime, ça enlève beaucoup. Il faut avoir quelque chose à côté. C’est bizarre à dire, mais il n’y a pas que le sport dans la vie. Il faut un équilibre entre tout. Et aussi, on ne peut pas vivre de l’escrime, c’est bien ça le problème. Donc il faut que je gère les études pour m’assurer un travail plus tard. »
Après une première convocation en Coupe du monde en novembre, aux Émirats arabes unis, tu as décroché une médaille de bronze à Lausanne. Puis tu as enchaîné avec une très belle performance à Marrakech, en étant la plus jeune des tireuses françaises. Qu’est-ce que tu retiens de ces moments forts et de ces expériences internationales ?
Le niveau Coupe du monde seniors, c’est le plus haut qu’on puisse atteindre. On peut comparer ça aux Jeux olympiques : il y a des filles qui ont fait les JO de Paris qui sont là. Donc forcément, se retrouver avec elles, avoir la possibilité de leur parler, c’est enrichissant. Il y a beaucoup de nationalités représentées, ce sont des approches différentes de l’escrime. Sur le fait d’être la plus jeune, je me dis qu’il faut bien un début. J’essaie de profiter, car je mesure la chance que j’ai — certaines ne l’ont pas eue.
Après les JO, les plus grandes tireuses n’ont pas forcément arrêté, alors ce n’était pas facile de se faire une place. Il faudra encore batailler jusqu’aux prochains JO. Les plus jeunes concurrentes ont 3 ou 4 ans de plus que moi minimum, parfois beaucoup plus. Elles ont plus d’expérience ; c’est une génération qui a fait au moins deux olympiades. Mais j’ai réussi à le faire, alors je sais que je peux y retourner. Pas de panique (rires) !