Escrime : Eléa Jouve, la jeune épéiste spinalienne, se confie sur son avenir

Entre ses études à Nancy et l’escrime à haut niveau, la Spinalienne Eléa Jouve n’a pas une minute à elle. Ambitieuse, mais lucide sur la réalité économique de son sport, la jeune épéiste de 20 ans tient à son double projet.
Début novembre, vous étiez parmi les douze Françaises sélectionnées pour une Coupe du monde senior aux Émirats arabes unis alors que vous êtes U23. Vous attendiez-vous à avoir cette chance aussi rapidement ?
J’étais dans les meilleures juniors la saison précédente, donc j’avais l’envie et l’espoir d’y participer, mais on parle quand même du plus haut niveau. J’ai croisé des filles qui ont fait les Jeux olympiques. Passer d’une compétition de jeunes à une coupe du monde senior, c’est surprenant. Je connaissais tout de même certaines filles, celles de ma génération, sélectionnées par d’autres pays.
Y a-t-il un monde d’écart entre ce que vous connaissiez chez les jeunes et une compétition internationale chez les seniors…
Oui ! Je ne pensais pas que cela serait différent à ce point. C’est compliqué de faire abstraction du contexte et c’était stressant. En plus, je n’avais pas la possibilité d’avoir mon papa, qui est aussi mon entraîneur, avec moi. Les coûts étaient trop importants pour m’accompagner. Participer à cette compétition a coûté plus de 1 500 euros. Ne pas être avec mon papa n’était pas évident sur le plan mental. Techniquement, en revanche, ça allait. Finalement, j’étais tellement contente d’être sur cette compétition que j’ai moins stressée que sur d’autres épreuves.
Qui vous encadrait aux Émirats arabes unis ?
Il n’y avait que deux entraîneurs pour douze filles, alors que les tireuses de nations comme l’Italie et les États-Unis étaient avec leurs propres coachs. Nos entraîneurs ont fait ce qu’ils pouvaient, mais je n’ai pas bénéficié de beaucoup de coaching. Même si on se côtoie depuis longtemps, ils me connaissent moins que les filles de l’Insep (institut national du sport, de l’expertise et de la performance). Avec les filles en pôle, cela constituait les trois quarts de la délégation française.
« Je veux avancer dans mes études, car on n’est jamais à l’abri d’une grave blessure ».
Rester dans une structure locale et familiale plutôt qu’intégrer un pôle, est-ce un handicap ?
Je le prends comme une force. Au niveau mental, être avec un entraîneur qui m’a toujours connue, comme mon papa, est un avantage. Je préfère ça à une structure où l’entraîneur ne me connaît pas bien et vivre dans une ville comme Paris. Cela aurait été un gros changement. Ici, je suis entourée de ma famille. Pour l’instant, j’y suis arrivée sans bouger mais je ne dis pas qu’il ne faut pas aller dans une structure. Cette saison, j’aurais pu demander à rejoindre l’Insep, mais je suis en troisième année de licence de mathématiques à Nancy. Je ne me voyais pas bouger pour l’instant, mais sur le long terme, pourquoi pas. Si je suis face à un mur et qu’évoluer passe par intégrer une structure, j’irai.

Comment s’articulent vos semaines entre les cours et vos entraînements ?
Je vis à Nancy et je fais l’aller-retour en train sur Épinal pour m’entraîner 3 à 4 fois par semaine, en plus des compétitions le week-end. Sur une semaine classique, je m’entraîne 8 à 10 heures. Pour les cours, cela ne rigole pas en fac de maths ! (Rires.) On m’avait vendu la fac comme souple au niveau des horaires, mais ce n’est pas le cas en maths ! Au minimum, je fais 8 heures – 16 heures tous les jours. Mon emploi du temps est millimétré. Le moindre grain de sable peut tout perturber. Le dernier train entre Épinal et Nancy part à 20 h 40 depuis la suppression de celui de 21 h 40. Parfois, il est annulé ou remplacé par un bus qui effectue le trajet en 2 heures. Il y a des surprises comme celles-là ! Pour l’instant, je tiens le coup.
Parmi les autres Françaises présentes aux Émirats arabes unis, Combien jonglent entre les études et le sport de haut niveau ?
Je suis la seule à ne pas avoir d’aménagement d’horaires. L’unique chose que m’a proposé la fac, c’est faire une année d’études en deux ans. Je n’y suis pas favorable. Je veux avancer dans mes études, car on n’est jamais à l’abri d’une grave blessure. Je connais une tireuse qui a été victime d’une rupture des ligaments croisés du genou en début de saison. Sa saison est terminée… Certaines filles n’ont pas encore de travail ou ne sont pas dans les études alors qu’elles ont trente ans. J’ai aussi la chance d’être passionnée par mes études. Je ne les fais pas à contrecœur. C’est une force. Parfois, les études marchent et pas le sport. D’autres fois, c’est l’inverse ou alors les deux en même temps. Mes études m’aident à relativiser mes performances sportives. Je ne pourrais pas faire que de l’escrime. Le sport est très préoccupant mentalement. Avoir les deux, c’est rassurant. Des filles ont parfois fait comme un burn-out parce que cela n’allait pas du tout en escrime et elles n’avaient rien d’autre à côté.
Malgré votre équilibre entre sport et études, faites-vous appel à un préparateur mental ?
On y a déjà pensé. Je n’ai pas encore franchi le pas, mais c’est quelque chose qui devient de plus en plus important. Si je prends l’exemple de la Coupe du monde aux Émirats arabes unis, on a toutes le potentiel pour faire de bonnes choses, mais ce qui pêche parfois, c’est le mental ou le moral. La manière d’aborder la compétition peut faire la différence.
