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Histoire d’hier et d’aujourd’hui : la légende du Hennefête

Le 06 février 2023 par Francoise Fontanelle
Histoires d'hier et d'aujourd'hui : la légende du Hennefête
© Adobe Stock

Pourquoi les chênes sont-ils tout noueux et rabougris dans les Hautes-Vosges ? Quel est l’esprit qui déclenche les tempêtes dans le massif ? Lisez ce conte, extrait de “ Légendes vosgiennes ” de Jean de Reichberg (imprimé à Saint-Dié en 1910) , et laissez la porte des légendes des Hautes-Vosges s’ouvrir à vous…

“À l’âge douteux où les fées habitaient encore la terre, avant d’émigrer vers une autre planète moins ravagée par le scepticisme, dame Agaisse (1) régnait en despote sur les forêts qui s’étendent de la Croix Saint-Georges au val de Straiture.

Orgueilleuse et méchante, la mégère exigeait que les honneurs les plus humiliants lui fussent rendus, non seulement par les animaux et les plantes de toutes sortes, mais encore par les plus humbles fleurettes. Tous devaient, dès qu’elle apparaissait, balayer de leur front la mousse de la forêt sous peine du plus terrible des châtiments.

Il advînt cependant un jour que les chênes séculaires de Hennefête, las de courber leur cime majestueuse comme de vulgaires arbrisseaux, résolurent de braver la colère du tyran et de lui refuser l’hommage annuel.

Un premier vendredi de la lune entière qui suit la Trinité, Agaisse sortit de son antre de porphyre (2) et prit son vol à travers les airs pour visiter son domaine. Son visage rouge était affreusement ridé, ses lèvres minces laissaient voir des dents aiguës et noires plantées comme les plumes d’un volant d’enfant, ses yeux petits, verts et méchants semblaient jeter des flammes tant ils étaient brillants, son corps épouvantable, raide et maigre, soutenait avec peine un long manteau de brocard trop riche et trop lourd. En arrivant sur le Hennefête, elle poussa un cri strident qui fut entendu jusqu’à cinq lieues à la ronde.

Le signal redouté fit sortir aussitôt de tous les coins de la forêt : lutins, sotrés et culas (3) qui se précipitèrent pour venir baiser respectueusement le bord du manteau de la souveraine. Les hêtres, les sapins, les mélèzes, les coudriers s’inclinèrent sur leur souche en ployant leur tronc, les animaux mirent les genoux en terre, les oiseaux de toute espèce vinrent former autour de la fée un nuage épais et bruyant, les insectes, en bourdonnant, prolongèrent la traîne de brocard, les rocs eux-mêmes s’ébranlèrent sur leur base comme pour chercher à s’enfoncer en terre et à cacher leur tête moussue.

Seuls les grands chênes, aux rameaux drus et serrés, demeurèrent droits, fièrement raidis sur leurs racines, narguant la colère de l’horrible despote.

Le sifflement d’Agaisse s’éleva plus strident. La tempête déchaînée par un souffle puissant rasa le front courbé des vils adorateurs pour faire rage autour des courageux sujets.

La fée, cramoisie, les mains crispées, étendit alors sa baguette sur la forêt et l’on vit soudain les chênes superbes s’affaisser sur eux-mêmes, se tordre, brisés comme de minces fils de chanvre sous les doigts agiles d’une fileuse, sans abaisser toutefois leur cime altière.

Depuis cette visite mémorable, les chênes du Hennefête semblent rabougris à côté de leurs frères plus dociles, les sapins et les hêtres. Mais leur tronc noueux sont toujours raidis fièrement sur leurs racines car, dans leur laideur, il continuent à braver courageusement le despote qui s’acharne sur eux sans réussir à les faire plier.

Et voilà pourquoi les chênes disparaissent peu à peu de notre pays… mais par contre, les sapins et les hêtres poussent en nombreux hagis(4). ”

(1) « Agaisse » signifie « pie » en vosgien.

(2) Roche magmatique qui présente une texture
caractérisée par de grands cristaux de feldspath.

(3) Petits personnages fantastiques plus ou moins
sympathiques et souvent facétieux.

(4) « Hagis » terme vosgien qui désigne une plantation de jeunes résineux.

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