“Un ticket Gérardmer – Le Hohneck s’il vous plait ! ” : la surprenante histoire du Tramway de Gérardmer
Lorris Mougel est président de l’association Tramway des Hautes-Vosges. Il évoque pour nous le souvenir d’un temps où un tramway transportait des touristes, en habits et voilettes, de Gérardmer au Hohneck, pour y admirer la ligne bleue des Vosges. Une invitation à superposer les images d’hier aux paysages d’aujourd’hui pour en retrouver les traces.
Gérardmer à la belle époque
“L’histoire du tramway de Gérardmer et fondamentalement liée à celle du développement du tourisme dans la région. Nous sommes à la fin du XIXe siècle. Gérardmer est une station touristique qui attire le gotha parisien et la bonne société lorraine. À l’époque, on y trouve de grands hôtels construits sur le modèle haussmannien et de nombreuses pensions qui donnent aux rives du lac des airs de Riviera…
On venait à Gérardmer par le train. Les affiches de la Compagnie des chemins de fer de l’Est vantaient cette destination à seulement 7 h 30 de Paris et faisaient de la réclame de billets à prix attractifs. Passé Remiremont, St-Étienne, St-Amé et le Tholy, les voyageurs arrivaient en gare au centre de Gérardmer, boulevard de la Jamagne. “
1897, première mise en service : Gérardmer-Retournemer
« Ce premier tronçon mettait en avant la vallée des Lacs. Au départ de Gérardmer, boulevard Kelsch, ce tramway à vapeur suivait la route, le long du lac de Longemer, pour arriver à Retournemer où des hébergements et des restaurants attendaient les touristes.
Le succès est au rendez-vous et incite la société des Tramways de Gérardmer, créée par Henri Gutton, polytechnicien et architecte à Nancy – à créer un second tronçon, électrifié, qui prolongerait le trajet en passant par Le Collet, la Schlucht et proposerait un terminus sur les Crêtes, au Hohneck. Un projet déclaré d’utilité publique en 1902, qui fut inauguré en 1904. »
Une prouesse technique
« Malgré le dénivelé important, on constate l’absence de crémaillère. Il y a eu plusieurs projets de tracés, notamment par la Roche du Diable. Il faut se remettre dans le contexte. À l’époque, La Schlucht est à la frontière de l’Allemagne, c’est le bout de la France. Le règne de l’automobile n’est pas encore advenu et les routes n’existent encore pas, sinon des sentiers empruntés par les habitants. C’est le choix de l’électrification de la ligne qui a été fait pour affronter cette pente. Cela a demandé la création d’un tunnel avant Retournemer, la construction d’une usine électrique aux abords de Retournemer et des travaux pharaoniques pour ouvrir la roche et créer la Grande Tranchée qui mène de Retournemer au col des Feignes, à 954 m d’altitude. D’ailleurs, cela a certainement demandé des moyens humains impressionnants. »
Aujourd’hui, lorsque l’on regarde la vue de la carte postale qui montre le train descendant du Hohneck, il y a un peu plus de cent ans, ça paraît juste incroyable !
La première guerre mondiale
Pendant le conflit, l’Armée s’est servie du Tramway de Gérardmer pour acheminer ses matériels et ses hommes sur la frontière. L’activité touristique a repris ensuite et, l’Alsace était redevenue Française. Une liaison, à l’arrêt de La Schlucht, a été construite sur le versant alsacien du Massif, depuis Munster, dotée d’un système à crémaillère, cette fois-ci, car le dénivelé était encore plus important.
L’entre-deux-guerres
“C’est la période d’expansion du Tramway de Gérardmer. La fréquentation explose et le nombre d’automotrices, fabriquées à Lunéville chez De Dietrich, passe à quatre, chacune pouvant transporter entre 30 et 40 voyageurs. »
Le 14 juillet 1923
« Ce jour-là, deux automotrices se percutent pour des raisons non connues, faisant entre deux et quatre morts selon les sources de l’époque. C’est un moment sombre pour la société d’exploitation, qui retrouve la vitesse de croisière avant que la concession soit reprise, en 1925, par le Département des Vosges. »
1939, le coup d’arrêt
La Seconde Guerre mondiale sera fatale au Tramway de Gérardmer. Tout comme beaucoup d’usines et d’infrastructures, il sera détruit par les troupes allemandes lors de leur retraite. À l’issue de la guerre, 70 à 80 % de la ville est détruite. Il est alors urgent de reconstruire des logements et le tourisme n’est plus la priorité. Cela correspond également à la période de l’essor de l’automobile, on construit des routes. Désormais, le train est détrôné et l’on se rend sur les crêtes en voiture.”
Un patrimoine à valoriser
« Le Tramway de Gérardmer est aujourd’hui un souvenir. Il serait intéressant de savoir ce que serait devenu ce type d’infrastructure, à l’heure où l’on recherche des alternatives à l’automobile. Néanmoins, il reste encore des traces visibles de ce patrimoine récent. Lorsque l’on se promène sur les sentiers qui constituaient son itinéraire, elles ne sautent pas aux yeux. Pendant des années, j’ai parcouru ces chemins entre La Bresse et Xonrupt sans savoir que la Grande Tranchée était à quelques dizaines de mètres de moi.
Il subsiste encore des endroits très spécifiques et, lorsque l’on regarde les cartes postales de l’époque et qu’on les remet en perspective dans le paysage actuel, on distingue parfaitement le passage qu’empruntait ce train avant d’arriver au Collet et de dévoiler la vue sur les lacs…
Avec l’association loi 1901 Tramway des Hautes-Vosges, nous portons le projet, dans le respect du site naturel qu’est le massif, de baliser les sentiers existants qui suivent son parcours afin de retracer son histoire via une exposition photo et des audioguides accessibles sur smartphone. Ce serait une façon novatrice de mettre en lumière ce patrimoine des Hautes-Vosges et de mettre en avant ceux qui ont participé à cette page de l’Histoire du massif. »
Un article réalisé en partenariat avec le Magazine Tandem, à consulter ICI