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Les âmes soeurs : Rencontre avec l’épatante Amélie Nothomb

Le 25 septembre 2022 par Francoise Fontanelle
Les âmes soeurs : Rencontre avec l'épatante Amélie Nothomb
« Ma sœur a toujours été la personne la plus importante de ma vie et cela faisait très longtemps que j’espérais trouver le moyen d’écrire sur elle ».
© Pascal Ito

Depuis 30 ans, il n’existe pas de rentrée littéraire sans un nouveau Nothomb. Entre fiction et autobiographie, l’auteure nous propose un voyage en sororité et décrit la naissance d’un amour absolu et salvateur entre deux sœurs. C’est quelques jours avant sa venue au Livre sur la Place, qu’elle nous a accordé cet entretien.

Chaque année, vous produisez plusieurs manuscrits parmi lesquels vous choisissez celui qui sera édité. Pourquoi Le livre des sœurs ?

Cela faisait très longtemps que je voulais partager l’importance que ma sœur a pour moi. Et c’était l’occasion. Ma sœur a toujours été la personne la plus importante de ma vie et cela faisait très longtemps que j’espérais trouver le moyen d’écrire sur elle.

Amélie Nothomb.

Une histoire où vos secrets restent intacts ?

Oui. C’est très délicat d’écrire sur une personne que l’on aime. On a toujours peur d’aller trop loin. Là, j’ai trouvé une possibilité fictionnelle pour parler de l’amour que je vis avec ma sœur, puisque Tristane et Laetitia ce n’est pas Juliette et Amélie. Bien sûr, c’est notre amour qui inspire ces deux personnages, mais elles sont autres.

C’est pourquoi vous avez inversé les rôles de sœur aînée et cadette par exemple. Pourtant, au-delà de la sororité, Le livre des sœurs aborde énormément de rapports complexes autour du couple et des liens familiaux…

Les parents de Tristane et Laetitia forment un couple « forteresse ». C’est effectivement rare de s’aimer comme Nora et
Florent s’aiment. Mais quand on atteint cet amour-là, il vaut mieux ne pas avoir d’enfant. Faire des enfants c’est une sacrée responsabilité. On ne peut pas persister dans l’amour exclusif de son conjoint et sa conjointe quand on met un enfant au monde, sinon voilà ce qui se passe… Ce livre m’a été inspiré par deux amies qui, elles ne se connaissent pas, vivent le drame d’être des enfants nés dans un couple forteresse. Chacune m’a témoigné de la même chose : la souffrance et la carence que cela crée. Grandir sans regard, grandir sans comprendre sa place… comme c’est difficile. Je me suis demandée ce qui aurait pu sauver ces deux amies, et j’ai imaginé que cela aurait pu être d’avoir une sœur. Mais, bien évidemment, une sœur aussi extraordinaire que la mienne. Car j’ai cru comprendre que tout le monde n’avait pas ce privilège… Je devais avoir dix ans quand j’ai découvert qu’il existait aussi des sœurs qui ne s’aimaient pas. Ça a été pour moi une blessure. Mais voilà, moi j’ai tiré le gros lot, je suis très bien tombée…

Une complicité qui sauve certes, mais à la fin du roman, la jalousie mère-fille transparaît lorsque Tristane dit : « Je suis une version de notre père qu’elle n’a pas pu avoir »…

C’est exact. À vrai dire, on est un peu étonné parce que, au début, Nora est un beau personnage ; une femme plutôt agréable qui, en plus, vit un grand amour. Donc on se dit « voilà une femme qui évolue tout à fait bien ». Beaucoup de gens ont été stupéfaits de voir que les choses se passent si mal alors qu’elles ont plutôt bien tourné pour elle. Ce n’est pas si simple. Je suis, bien sûr, une grande défenseuse de l’amour, mais je pense que l’amour qu’elle vit avec son mari – c’est un amour vrai, je ne dis pas du tout le contraire – est un amour déficient. L’amour n’est pas sensé rendre à ce point égoïste. Lorsqu’un amour tourne de cette manière, c’est que quelque chose ne va pas. Je soupçonne que ce qui ne va pas dans ce couple, c’est une espèce d’autosuffisance absolument dramatique. Au fond, Nora et
Florent sont des être vides, vides au sens où tout ce qu’ils ont dans la vie : c’est l’autre. Ce n’est pas un amour qui leur fait vivre des choses, les ouvre sur le monde extérieur et les épanouit. C’est un amour qui les dessèche finalement.

D’ailleurs, il est pour Nora impossible de survivre à Florent

Oui. La meilleure preuve c’est la mort. Évidemment, c’est horrible de perdre son conjoint – et je ne souhaite à personne de devenir veuf ou veuve, bien que cela nous pend tous au nez si nous ne sommes pas célibataires. Bien sûr que l’on souffre quand on perd son conjoint, mais si cette souffrance ne devient pas autre chose, si elle n’aboutit pas à l’épanouissement d’avoir quand même vécu ça, d’avoir des enfants, c’est que quelque chose n’a pas fonctionné.

Alors pourquoi ces couples font des enfants ?

Je ne sais pas pourquoi on fait des enfants, je n’en ai pas fait. Mais ce qui est certain, c’est que si l’on fait des enfants, c’est pour eux. Pas pour soi. Et ça, manifestement, Nora et Florent ne l’ont pas compris.

Il est d’usage dans les milieux littéraires de dire « qu’un bon cru d’Amélie Nothomb annonce une belle rentrée ». Vous supportez la pression ?

Il faut croire que j’aime ça (Rires) puisque c’est la trentième fois que cela m’arrive ! Cette année je fête mes trente ans – pas mes trente ans d’existence, ce serait trop beau – mais mes trente ans de carrière.

Et toujours chez le même éditeur…

Oui. C’est un beau cas de fidélité. Écoutez, quand une histoire d’amour fonctionne bien, à quoi bon l’infidélité ?

Vous éditez un livre par an, en assumez la promo, répondez avec assiduité aux courriers de vos lecteurs, cela tout en écrivant plusieurs manuscrits par an. Où trouvez-vous les ressources ?

Eh bien, j’ai trouvé le grand secret de l’inspiration. Il est tout simple. Il consiste à ne jamais s’arrêter. Si vous ne vous arrêtez jamais, ça ne s’arrêtera jamais !

Il n’y aura donc jamais de page blanche…

Je suis en train d’écrire mon cent cinquième manuscrit. Je ne prétends pas que tout soit génial, mais ce que je constate, c’est qu’il y a toujours quelque chose qui me vient. L’inspiration peut se comparer à un muscle. Si l’on entretient ce muscle, l’inspiration est perpétuellement échauffée et le texte ne s’arrête pas. Ce n’est pas une ascèse pour autant. Là encore, c’est une ouverture sur le monde, du moins je l’espère (Rires). Évidemment, cela suppose de grands efforts et quelques sacrifices. Moi, je sais ce que j’y ai sacrifié : c’est mon sommeil. Eh bien, je dormirai quand je serai morte…

Sa soeur, Juliette Nothomb.

Votre sœur Juliette écrit également. Elle vient de sortir un livre sur sa passion pour le cheval, et a déjà signé plusieurs ouvrages, dont des livres pour enfants. Ce don commun pour l’écriture, constitue-t-il une façon de communier ensemble ?

C’est une célébration. Bon, j’adorerais que nous soyons les sœurs Brontë, mais c’est quand même magnifique de voir un si beau lien. Et puis, je dois aussi le dire, c’est grâce à ma sœur que j’écris. Quand nous étions petites, c’est elle qui écrivait, moi pas. Elle était ma grande sœur, aussi tout ce qu’elle faisait était sensationnel. Et c’est grâce au fait qu’elle écrivait que j’ai su qu’écrire c’était bien ! Donc, l’écriture ce n’était pas pour moi : puisque ma sœur écrivait, je ne pouvais pas marcher sur ses plates-bandes. L’écriture lui appartenait, et je respecte trop ma sœur pour faire comme elle. Mais, quand ma sœur a eu seize ans, elle a cessé d’écrire. Alors là, je me suis dit : « tiens ouvrons l’œil et le bon ». Trois ans plus tard, elle n’avait toujours pas recommencé à écrire, alors je me suis dit que, peut-être, c’est un truc qu’elle a abandonné et que je peux m’y mettre… C’est là que j’ai commencé à écrire.

Donc cette année vous serez toutes les deux au Livre sur la Place à Nancy…

C’est la première fois que nous allons faire une intervention ensemble ! Et en plus, dans un lieu aussi important et beau que la place Stanislas. C’est vraiment le rêve, la grande excitation ! Je vais à
Nancy une année sur deux. Cette année, avec ma sœur, cela va être un Nancy très particulier pour moi.

Qu’est-ce qui vous plait plus particulièrement dans ce salon ?

D’abord, il faut dire que la splendeur de Nancy, c’est quelque chose ! Avant aller à Nancy, je ne savais pas que c’était une si belle ville. C’est magnifique, et je ne connais pas de salon du livre mieux situé. Dès la première fois, en 1993, j’ai tissé des liens tellement forts avec les gens ! Alors Nancy, c’est une longue histoire d’amitié. Ce n’est pas étonnant, car je viens de l’Ardenne belge, qui est tout près et que l’on appelle aussi la Lorraine belge ; ce qui fait de nous des compatriotes. Je crois que c’est pour toutes ces raisons que l’on s’entend si bien.

Un article réalisé en partenariat avec le Magazine Tandem, à consulter : ici

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