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Victor Dixen : « L’imaginaire égale le réel »

Le 23 mai 2014 par Bruno Veillon

Victor Dixen est l’invité coup de coeur des Imaginales 2014 à Epinal. Cet auteur français installé à Singapour vient de publier “Animale, La malédiction de Boucle d’or” chez Gallimard Jeunesse. Un phénomène littéraire à découvrir.

– Le récit de votre dernier est haletant, on ne quitte pas le livre des yeux. Comment décririez-vous cette volonté de ne pas lâcher le rythme ?

Écrire, pour moi, c’est un droit et un devoir. C’est le droit d’inventer des mondes, de donner chair à ses rêves, et d’y convier les autres. Lorsqu’un lecteur ouvre un livre, c’est une formidable marque de confiance, c’est donner le volant à l’auteur et lui dire : emmenez-moi ! Du coup, j’y vois un devoir, celui de conduire les lecteurs jusqu’au bout de ces mondes, de ces rêves, par la route panoramique et jusqu’à destination. C’est de là que vient le souci du rythme.

Dans le cas d’ANIMALE, le roman est aussi un rapport d’enquête, menée sur les traces d’une jeune femme disparue en forêt vosgienne dans la tourmente des guerres napoléoniennes. J’ai voulu imprimer au récit le rythme de cette enquête que se transmettent les personnages comme un relais à travers le temps et les générations, la volonté absolue de percer le mystère, quoi qu’il en coûte.

– Jack Spark est un héros masculin, avec Blonde vous choisissez une héroïne, pourquoi ?

Pour paraphraser Montaigne, parce que c’était elle, parce que c’était moi 😉
Mes personnages s’imposent à moi sans que je les choisisse, c’est l’histoire que je veux raconter qui les invite, qui les invente. C’est difficile d’expliquer comment naît un personnage… À l’origine il y a une intuition, un besoin très fort de faire entendre une voix qui ne parle pas encore. Et puis il y a les recherches, la biographie. C’est sans doute un peu comme les êtres faits de chair et de sang : la nature et la culture, l’inné et l’acquis.

ANIMALE pour moi, c’est un roman qui a quelque chose de très intime, un secret d’amour enfoui au coeur d’un monde mis à feu et à sang par l’ambition des hommes. Mais c’est aussi l’histoire d’une révolte, d’un instinct de liberté qui fait exploser les chaînes et les conventions sociales. Blonde exprime ces deux facettes de la féminité, intimité fragile et force de vie, que rien ne peut arrêter. Elle est femme, elle est flamme, à l’image de la chevelure que les religieuses de Sainte-Ursule veulent couvrir avec tant d’insistance – d’abord une étincelle, puis un brasier qui embrase tous ceux et celles qu’elle approche.

– Blonde et Jack Spark sont des personnages en quête de leur identité et de ce qu’ils sont en réalité. C’est un chemin que vous avez vous-même parcouru ou cela n’a rien d’autobiographique ?

Avant d’être les héros d’histoires fantastiques, Blonde et Jack sont des adolescents. Et comme tous les adolescents, ils vivent une métamorphose. C’est pour cela que cet âge est si intéressant d’un point de vue romanesque : parce que c’est l’âge où tout change, où l’on se cherche, où l’on s’invente.

Alors, oui, il y a une part autobiographique chez ces personnages. J’espère que cette part a quelque chose d’universel et que les lecteurs y retrouveront un reflet d’eux-mêmes, de ce qu’ils sont en train de vivre ou qu’ils ont déjà vécu.
  
– Vous revisitez le conte de Boucle d’Or et les trois ours dont la morale pourrait être : “Ne te mêle pas des affaires des autres”. Dans votre récit on comprend finalement que se mêler des affaires, enquêter, cheminer auprès d’autres personnes loin du ” berceau ” … est salvateur pour l’héroïne. L’ouverture aux autres et au monde est-elle une thérapie ?

C’est vrai que la morale du conte original encourage à respecter les affaires d’autrui, c’est un conte qui met en garde contre la transgression. Mais la frontière est parfois bien fine entre le respect d’autrui et le désintérêt de l’autre, entre le respect des traditions et l’obscurantisme. Je crois qu’il faut questionner, sans cesse, quitte à bousculer. C’est à ça que sert la littérature, entre autre.

– Pourquoi avez-vous choisi les Vosges comme cadre à ce roman ? En quoi les Vosges sont intéressantes pour un écrivain ?

J’ai découvert les Vosges dans le cadre du festival des Imaginales, où j’ai la chance d’être invité depuis la parution de mon premier roman Le Cas Jack Spark. J’ai adoré cette expérience de découvrir un lieu par l’intermédiaire d’un festival littéraire. Pour moi, les Vosges et Épinal sont indissociables des chapiteaux bruissant d’histoires, des personnages en costumes, de toute cette effervescence créative qui, durant quelques jours, met l’imaginaire sur un pied d’égalité avec le réel.

Au-delà du festival qui a permis ma rencontre avec les Vosges, je suis tombé sous le charme d’une région pétrie d’histoire, charnière entre l’Ouest et l’Est, entre le présent et le passé. Une région-frontière, qui m’a inspiré un roman-frontière : la frontière que doivent passer les émigrés de la Révolution pour revenir en France ; la frontière d’une société qui hésite entre la tentation du retour à la tradition et le risque de la modernité ; surtout peut-être, la frontière entre l’humain et l’animal.

Enfin, la manière dont un lieu vous inspire a toujours je crois quelque chose d’irrationnel, d’irréductible aux explications. C’est cette part de mystère que j’aime le plus, ici : forêts profondes, carrefour des migrations de l’Histoire, montagnes bleues au seuil de la germanité et de ses contes, tout cela est très inspirant. Comme une image d’Épinal, dont il reste à inventer la légende.

– Vous résidez à Singapour. Pourquoi vous êtes-vous installé là-bas ? C’est un pays qui vous inspire ?

J’ai toujours beaucoup voyagé, et j’ai vécu dans plusieurs pays. En France bien sûr, mais aussi plusieurs années aux Etats-Unis, dans le Colorado au pied des montagnes Rocheuses, et à Dublin en Irlande. Voyages et expatriations sont pour moi source d’inspiration, un moyen aussi de porter un regard différent sur ma culture d’origine et de retrouver mon pays avec plaisir à chaque fois que j’y reviens.

Lorsque l’occasion s’est présentée de m’installer à Singapour, j’ai foncé. J’y habite une vieille maison chinoise, au milieu d’une cité ultramoderne, cosmopolite, j’aime ce contraste. Le premier meuble que j’ai acheté en arrivant est un vieux bureau datant de l’ère coloniale, qui traînait au fond d’une brocante. Je l’ai eu pour une bouchée de pain, et c’est sur ce bureau que je passe désormais mes nuits à écrire en observant par ma fenêtre les lumières de Singapour qui ne s’éteignent jamais. Le passé de cette ville qui a été tour à tour un redoutable repaire de pirates et un comptoir commercial incontournable me fascine. C’est sûr, je vais en faire un roman, il est déjà en route 😉

Et puis, il y a actuellement une vraie effervescence culturelle à Singapour, de belles initiatives, c’est un bon moment pour y être. Le directeur de la Maison des Arts m’a dit qu’une résidence d’écriture franco-singapourienne allait bientôt être mise en place : avis aux amateurs !…

– Vous cultivez le rôle d’un personnage un peu extravagant ou extraverti. Pourquoi ce choix ?

Extravagant ? Je ne sais pas. J’essaye de me mettre au service des livres, de donner envie de les ouvrir. Extraverti ? J’ai plutôt l’impression de me retrancher derrière mes lunettes noires, pour laisser le plus de place aux histoires. Comme quoi, tout est question de perception J

– Vous racontez dans votre biographie avoir été traumatisé dans un parc d’attraction lorsque vous vous êtes retrouvé embarqué pour 14 tours de montagnes russes, ce qui vous a conduit à une série d’insomnies que vous qualifiez d'” étranges “. En quoi sont-elles étranges pour vous ? C’est un épisode réel ou imaginaire ? 

Cet épisode est bien réel, il s’est déroulé au Tivoli de Copenhague, l’un des plus vieux parcs d’attractions du monde, tout droit sorti d’un conte d’Andersen – mon père étant danois, je passais parfois les vacances d’été en Scandinavie lorsque j’étais enfant.

Je ne suis pas le seul à qualifier mes insomnies d’étranges, les médecins du sommeil aussi : en effet on n’en a jamais trouvé la cause, malgré de nombreuses nuits en laboratoire du sommeil et tout un tas de traitements. Seule explication peut-être, l’accident des montagnes russes – mais cela explique-t-il vraiment tout ? Avec le temps, je me suis fait à l’idée de ne pas comprendre. Au début je vivais les nuits sans sommeil comme une malédiction ; à présent je les vois comme une grâce : ce sont elles qui me donnent le temps et l’inspiration pour écrire !

– Depuis cet épisode, vous écrivez la nuit. C’est le meilleur moment pour l’inspiration ?

Pour moi, c’est le moment idéal. Quand je me réveille très tôt, bien avant l’aube, tout est silencieux. A part les étoiles et les néons de la ville, la seule source de lumière vient de mon écran. La seule chose qui existe, c’est l’histoire que je suis en train de raconter.

– Que venez-vous chercher aux Imaginales qu’attendez-vous de ces rencontres avec vos lecteurs ?

Ce que je viens chercher aux Imaginales, c’est d’abord un bouillon de créativité qui, je le sais pour l’avoir vécu chaque année, va me charger à bloc et m’inspirer pour les mois à venir. C’est aussi l’occasion de découvrir les nouvelles productions des auteurs qui sont devenus des amis, et de faire de nouvelles connaissances. C’est enfin et surtout l’occasion unique de rencontrer les lecteurs, les vrais, ceux à qui on pense quand on écrit, mais qui restent abstraits le temps de la création d’un roman. Echanger avec les lecteurs, savoir comment ils vous ont lu, c’est inestimable, c’est vital même, c’est ce qui permet d’avancer. Et c’est aussi ce qui nous ouvre les yeux, à nous auteurs qui avons parfois l’illusion de tout contrôler (ou de tout conduire, pour reprendre le terme que j’utilisais plus haut) – c’est ce qui nous ouvre les yeux sur la formidable liberté des livres. En lisant, chaque lecteur recrée l’histoire à sa façon, y apporte sa couleur, ses visages… sa vie !

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