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Repose en paix, papa

Le 06 mai 2016 par Bruno Veillon

Il y a deux histoires en Raymond. L’histoire de son père, exécuté par les nazis à Épinal en 1944. Et son histoire personnelle qui l’a mené à Épinal dans les pas de ce père qu’il n’a pas connu.

Au quartier de La Vierge, il y a une stèle, un monument aux victimes de la guerre. Il n’y a que le vent dans les hauts sapins qui rompt le silence des lieux. C’est là, devant ce mur, qu’en 1944, Pierre Dubois s’est écroulé sous les balles des nazis, après avoir été emprisonné et torturé à Épinal. 

” Sur ce mur, il y a de mon ADN  “, lance Raymond Dubois, son fils, de retour sur les lieux des années après. L’histoire de son père rejoint celle de milliers d’autres résistants durant la seconde guerre mondiale. Mais elle est rageante : c’est un membre de son réseau de résistance, qui a dénoncé ses acolytes auprès des autorités allemandes.

Espionnage au service des Alliés

Pierre Dubois a seize ans quand débute la seconde guerre mondiale. Il vit en banlieue parisienne. Les Vosges, il n’en a encore jamais entendu parler. Mais aider les Alliés à combattre les Allemands, ça oui. 

Ce qui le poussera à intégrer un réseau d’informations au service des États-Unis, via la Suisse et le réseau Centurie de l’OCM (Organisation civile et militaire, un réseau de résistants) rattaché à la France libre. Un travail de renseignement et d’espionnage des Allemands, pour lequel la plus grande discrétion est indispensable. Il en va de sa vie.

Pierre Dubois se retrouve alors à plusieurs reprises de passage dans les Vosges, l’une des bases arrières du réseau. Jusqu’à ce que l’impensable se produise. La trahison d’un des membres du réseau, André Vial, originaire de Thaon-les-Vosges, qui dénonce tous les membres à la Gestapo.

Un papa fantôme

Aujourd’hui, le fils de Raymond Dubois a 72 ans. Il ne possède aucune photo, aucun souvenir de lui et son père. Quand il est mort, il n’avait que trois mois. Sa vie est marquée par la quête de cet homme, de ce papa fantôme. Il a grandi à Paris, puis dans le Pays basque, est parti vivre au Canada où il est désormais installé à Montréal.

Globe-trotter, polyglotte, la vie de Raymond s’organise entre la France de sa naissance, où il est devenu Pupille de la Nation, et le Canada, une sorte de patrie adoptante. ” J’ai fait de mon père un héros. Puis quand j’étais adolescent, je lui en ai voulu. Je lui disais qu’il m’aurait été plus utile s’il était là aujourd’hui. C’est pas facile d’être un fils de héros. Surtout un héros dont tu ne connais pas le parcours. “

C’est à bord d’un vol entre le Canada et la France qu’il va faire une rencontre déterminante pour mieux connaître ce père de l’ombre. Sa voisine de siège possède des origines vosgiennes et lui propose de l’aider à reconstituer le puzzle de l’histoire de son père.

” Au mauvais endroit au mauvais moment “

Elle lui permettra de rencontrer le gendarme Paul Joyeux, qui lui remettra une copie du compte-rendu des accusations des nazis contre son père. Un document précieux.

Plusieurs cérémonies de commémoration à Épinal serviront également à rencontrer des anciens, des descendants, bref, d’autres témoignages pour mieux comprendre. Cerner l’époque où s’est déroulé le drame.

” Mon père n’était pas Vosgien. Il était là au mauvais endroit au mauvais moment. Il a été arrêté au Central Hôtel d’Épinal. ” Là-même, à quelques encablures près, où Raymond vient passer ses nuits quand il s’arrête dans les Vosges.

Devenu moine bouddhiste

” Pour moi, le hasard n’existe pas. J’ai déjà pensé que la chambre où je dormais était celle que mon père occupait pendant la guerre. Ça m’a remué au début “, confie le septuagénaire. Au cours de sa vie, Raymond est devenu moine bouddhiste, il pratique la méditation et le zen, qui lui ont permis de retrouver une paix et une sérénité intérieure. 

Mais aussi de mieux tirer bénéfice de ces sombres événements. ” J’ai appris à prendre le temps. Il y a un proverbe qui dit : faut pas tirer sur les carottes pour les faire pousser, faut les sarcler. “

” Remerciez votre père “

” Le bonheur pour moi, c’est de prendre les vacheries de l’existence comme un cadeau du ciel, confie l’adepte du zen. Un jour quelqu’un m’a dit : votre père est mort, mais il vous a fait un cadeau. Il vous a permis de vous dépasser. Remerciez votre père. Alors, j’ai déposé une rose à La Vierge ainsi qu’une couronne de fleurs sur sa tombe. Je l’ai remercié, parce que j’ai eu une longue vie et des opportunités dont je me suis saisi. “

À 7 heures du matin, le 22 mai 1944, ils seront sept exécutés sous les balles des nazis. Fusillé de dos, les uns après les autres. Moins d’un an avant la capitulation de l’Allemagne. 

” Mon père avait écrit une lettre dans laquelle il disait vouloir être enterré à Avenay-Val d’Or en Champagne, à côté d’Épernay, d’où viennent mes grands-parents. Là-bas aussi qu’une avenue porte désormais le nom de mon père. Je veux aussi y être enterré, pour terminer la boucle. “

Chronologie :

– 1923 : Naissance de Pierre Dubois
– 1939 : Début de la seconde guerre mondiale
– 21 janvier 1944 : Arrestation de Pierre Dubois
– 6 février 1944 : Naissance de Raymond Dubois
– 22 mai 1944 : Exécution de Pierre Dubois
– 1947 : Son corps est exhumé pour être enterré à Avenay-Val d’Or

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