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Nicolas Mathieu : l’écrivain vosgien en lice pour le Prix Goncourt se raconte

Le 29 octobre 2018 par Clément Thiriau
© Bertrand Jamot pour Actes Sud

L’écrivain spinalien Nicolas Mathieu fait partie des quatre finalistes du prestigieux prix Goncourt pour son deuxième roman, Leurs enfants après eux. Au même moment, son premier ouvrage, Aux animaux la guerre, est porté à l’écran sur France 3. Au cœur de cette actualité chargée, il revient sur son parcours et évoque la relation ambivalente qu’il entretient avec sa terre natale. Interview.

Nicolas Mathieu, vous faites partie des quatre finalistes du Prix Goncourt. C’est inespéré ?

N.M. – C’est à la fois très surprenant, très flatteur et très fatigant. Je suis également en lice pour le Goncourt des lycéens et le Prix Médicis, donc très sollicité. Mais je mesure ma chance. Il y a 560 romans qui sortent à la rentrée et en étant dans cette liste là, le mien bénéficie d’une mise en lumière sans pareil. Ça permet au livre de trouver ses lecteurs.

Le prix sera décerné le 7 novembre. A combien estimez-vous vos chances ?

Je n’ai pas d’impatience, je pars perdant, et peut-être que j’aurai une bonne surprise. Actes Sud l’a eu l’an passé et c’est très très rare qu’une maison d’édition l’ait deux fois de suite. Rien n’est impossible, mais j’essaye de rester serein et de ne pas me faire trop d’illusions.

“Pendant 35 ans, je n’avais pas une thune”

Leurs enfants après eux évoque comme votre premier ouvrage la « fin d’un monde ». Est-ce un roman autobiographique qui ne dit pas son nom ?

Il y a un peu de vécu, mais attention, on est loin de l’autobiographie. Ma mère était comptable, mon père électromécanicien. Je viens d’une classe moyenne, mais quand même assez éloignée des excès décris dans le livre. En revanche, cette envie de partir, cette rage au cœur, je l’ai eue.

Un roman s’écrit toujours à la croisée des blessures. Ici, j’en verrais trois, disons les miennes. D’abord, l’adolescence. J’ai été cet enfant qui rêve de sortir avec la plus belle fille du bahut et veut sa part du gâteau. L’autre plaie, ce serait celle du social et des distances. Quand j’étais petit, on m’a raconté un mensonge, que le monde s’offrait à moi tel quel, équitable, transparent, quand on veut on peut. Enfin, il y a ce départ. Je suis né dans un monde que j’ai voulu fuir à tout prix. Le monde des fêtes foraines et du Picon, de Johnny Hallyday, des hommes crevés au turbin et des amoureuses fanées à vingt-cinq ans.

Depuis quelques années, votre ascension est… impressionnante !

Impressionnante, je ne sais pas. Pendant 35 ans, je n’avais pas une thune, j’écrivais et personne n’en avait rien à faire (rire aux éclats). Depuis 2014 ça va moins mal, mais ce n’est pas si fou. Quant à l’avenir, j’ai du mal à me projeter au-delà de la mi-décembre. Actuellement je me laisse porter mais je sais qu’à un moment il va falloir retourner dans ma chambre pour écrire, et là, j’appréhende le petit coup de mou.

“Des romans noirs qui prennent une intrigue criminelle pour raconter la vie des gens”

Écrivain, c’est une vocation ?

Mon métier me permet de satisfaire une ambition narcissique, cette même fierté que j’ai ressentie en classe de CE1, à l’école Saint-Goëry d’Épinal, lorsque mon texte a été sélectionné par la maîtresse. Il s’agissait de poursuivre l’histoire de Saint-Nicolas. Elle a lu mon texte devant toute la classe, j’ai pris conscience que je n’étais pas mauvais. C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais devenir écrivain.

Comment définiriez-vous votre style ?

Mes deux romans ne sont pas si différents que ça. Ce sont des romans noirs, qui prennent une intrigue criminelle pour raconter la vie des gens, avec une écriture un peu comme moi entre un milieu populaire et une langue savante et qui essaye d’être percutante.

“Assez pénible de grandir dans les Vosges”

Vous êtes né à Épinal, vous avez grandi à Golbey et vous êtes resté dans les Vosges jusqu’au Bac. Restez-vous attaché à votre département d’origine ?

C’est une relation très ambivalente car à une époque j’ai détesté cet endroit, j’ai voulu m’en éloigner et aujourd’hui je vois les choses différemment. Ça a été assez pénible de grandir ici, je me suis ennuyé mais c’est chez moi, que je le veuille ou non. En vieillissant, ce n’est pas qu’on se réconcilie mais on arrondit les angles (sourire). Mes parents vivent encore là et je reviens très très régulièrement avec mon fils.

Dans vos écrits, la région n’est pas dépeinte de manière très reluisante…

Non, dans mon premier roman, un polar social sur fond de désindustrialisation, je montre une facette des Vosges qui n’est pas très valorisante. J’en ai gardé des souvenirs qui ne sont pas tous agréables donc je n’ai pas de raison d’en faire l’apologie. J’en parle dans mes romans parce que c’est ce que je connais le mieux. Dans un roman, il y a tout un effort pour décrire des sensations.

« La série adaptée de mon premier roman est très réussie »

Quand vous allez à la rencontre du public vosgien, y a-t-il de l’appréhension par rapport à ça ?

Oui. Lors des rencontres-dédicaces, je crains toujours un peu qu’on m’amène le goudron et les plumes (rires). Je me suis déjà fait allumer pour ça. Mais je ne suis pas là pour faire la publicité de la région.

Mon job c’est de raconter des histoires avec des personnages et éventuellement appuyer là où ça fait mal.

La série adaptée de votre premier roman, tournée l’an dernier dans les Vosges, va être diffusée ce mois-ci sur France 3*. Vous l’avez vue ?

Oui et j’en suis très content. Quand on m’a proposé le projet, j’ai d’abord dû faire le deuil du roman et me mettre à la disposition du réalisateur, Alain Tasma, qui est un type formidable. On a écrit la série tous les deux. Ce fut un vrai plaisir. Pour l’anecdote, pendant le tournage, je me suis retrouvé dans une cour où je fumais des clopes avec mes potes à 17 ans, c’était très marrant.

*Série « Aux Animaux la guerre », d’Alain Tasma, avec Roschdy Zem et Olivia Bonamy : 6 épisodes de 52 minutes diffusés sur France 3 les jeudis 15, 22 et 29 novembre.

NICOLAS MATHIEU – Bio express :

Nicolas Mathieu est né à Épinal en 1978. Après des études d’histoire à Nancy et de cinéma à Metz, il s’installe à Paris où il exerce toutes sortes d’activités instructives et presque toujours mal payées. En 2014, il publie chez Actes Sud Aux animaux la guerre, adapté pour la télévision par Alain Tasma. Aujourd’hui, il vit à Nancy et partage son temps entre l’écriture et le salariat (Atmo Grand-Est).

Leurs enfants après eux
Éditions Actes Sud, 2018, 21,80 €

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac. Anthony a 14 ans, et pour tuer l’ennui, il décide d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera le premier amour, celui qui décide de toute la suite. Leurs enfants après eux, c’est le roman d’une vallée, d’une époque, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt, entre nostalgie, déclin, décence et rage.

Distinctions :

Prix Erckmann-Chatrian (2014) pour Aux animaux la guerre

Prix Mystère de la critique (2015) pour Aux animaux la guerre

Prix de la Feuille d’or (2018) pour Leurs enfants après eux

Les coups de coeur de Nicolas Mathieu (source : 100% Nancy) :

“C’est Annie Ernaux qui m’a donné envie d’écrire. J’aime aussi beaucoup Flaubert et Pete Dexter, j’aime le mélange de sociologie et de littérature, la description des parcours sociaux. Mais c’est Jean-Patrick Manchette qui m’a donné les clés pour entrer en littérature. C’est un grand styliste qui m’a aidé à mes complexes par rapport à la culture.

Passionné de ciné, j’ai un faible pour La Ligne rouge de Terrence Malick – j’ai fait mon mémoire de maîtrise sur lui ! – et pour l’humanité de Bruno Dumont.”

 

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