Accueil > Actu > Emploi / Formation > Des Vosges à Mars, parcours d’un explorateur scientifique

Des Vosges à Mars, parcours d’un explorateur scientifique

Le 20 juillet 2016 par Bruno Veillon

Mathieu Lapôtre, un jeune chercheur qui a grandi dans les Vosges, est à l’origine d’avancées importantes dans la compréhension du passé de la planète Mars.

Sa découverte a eu les honneurs de la presse scientifique internationale, le prestigieux magazine Science en tête ! Nous l’avons joint à Los Angeles, où il travaille pour la NASA.
Comment êtes-vous arrivé aux Etats-Unis ?
J’ai grandi entre les Vosges et l’Alsace. Je suis allé en maternelle à Gérardmer, puis y suis revenu pour la 6e. Je n’ai quitté les Vosges qu’après la terminale. En école d’ingénieurs, j’ai eu l’occasion d’effectuer plusieurs stages aux États-Unis. Là-bas, j’ai découvert une approche différente de la recherche scientifique. Je m’y suis beaucoup plus, et ai décidé d’y retourner pour effectuer une thèse.  En ce moment, j’habite à Pasadena en Californie, dans la banlieue de Los Angeles, et effectue ma recherche au California Institute of Technology.
 
Comment se déroule le travail quotidien d’un chercheur dans le domaine spatial ?
J’appartiens à l’équipe scientifique qui dirige le rover Curiosity de la NASA qui est sur Mars depuis 2012. Mon travail au quotidien est très variable. Des fois je suis dans mon bureau, sur mon ordinateur, à écrire du code informatique ou à regarder les dernières images envoyées par Curiosity. Je me rends régulièrement au Jet Propulsion Laboratory de la NASA pour les opérations du rover. En tant que géologue, je passe aussi pas mal de temps sur le terrain.

Petites et grandes rides martiennes

Vous avez découvert des ” wind drag ripples “, une structure de dunes sur Mars, qui donnent des indications sur le passé de l’atmosphère martienne. Pouvez-vous nous expliquer ?
Dans les déserts de sable sur Terre, on trouve des dunes, espacées de plusieurs centaines de mètres, mais aussi des structures plus petites, appelées “rides éoliennes”. La distance entre deux rides consécutives est typiquement de l’ordre de 10 cm. Sur Mars, nous n’observons pas seulement les petites rides et les grande dunes, mais aussi un autre type de ride, de taille intermédiaire entre celle des petites rides et celle des dunes. Ces rides sont espacées de 1 à 5 mètres, et ressemblent beaucoup aux rides de courants que l’on trouve sur Terre sur les lits de rivières.

À cause de leur taille et de leur morphologie, analogue aux rides de courants qui se forment sous l’eau sur Terre, nous avons émis l’hypothèse que les rides intermédiaires sont formées par un mécanisme analogue à celui qui forme les rides de courant. Sur Terre, les rides éoliennes sont formées par les forces des grains de sable qui “sautent” et impactent d’autres grains sur le lit sableux. Sous l’eau, ce mécanisme n’est pas efficace à cause de l’amortissement visqueux des grains par l’eau, et les rides de courant sont formées par la trainée exercée par l’eau sur les grains de sable. Inversement, le mécanisme visqueux est négligeable en dehors de l’eau sur Terre. Par contre sur Mars, la très basse densité de l’atmosphère accroît la contribution de la trainée des vents sur les grains de sable, et nous pensons que les deux mécanismes, agissant de concert, peuvent expliquer la coexistence des deux types de rides sur Mars.

Quand avez-vous réalisé cette découverte et comment cela s’est-il passé ?
Les grandes rides éoliennes sont observées depuis plusieurs années à la surface de Mars grâce aux satellites en orbite autour de la planète. Cependant, la résolution des satellites ne permet ni d’observer les petites rides éoliennes ni la morphologie des grandes rides en détail, et les scientifiques pensaient que les grandes rides sur Mars étaient analogues au petites rides éoliennes sur Mars, mais en plus grand.

” Mars a perdu son atmosphère très tôt dans son histoire “

Vous avez pu les observer grâce à Curiosity ?
Le rover Curiosity a renvoyé ses premières images du champ de dunes, en décembre dernier, et a documenté, pour la première fois, la morphologie détaillée des grandes rides éoliennes, mais aussi le fait qu’elles coexistent avec de petite rides éoliennes. Nous avons alors eu la preuve qu’un nouveau mécanisme était requis pour expliquer l’existence des grandes rides.

Avec ce nouveau “baromètre” géologique, on espère pouvoir contribuer à répondre à ces questions. Nous avons déjà trouvé des rides éoliennes fossiles dans un grès de la Burns formation. Ce dernier est une roche sédimentaire que le rover Opportunity avait observé en 2007, et dont l’âge est estimé à 3,7 milliards d’années ou un peu plus jeune. En se fondant sur la taille de ces rides fossiles, nous estimons que la densité de l’atmosphère Martienne était déjà très proche de sa valeur actuelle, ce qui apporte un soutien à l’hypothèse que Mars a perdu son atmosphère très tôt dans son histoire.

Comment avez-vous réagi quand vous avez été publié dans Science ?
Nous sommes allé fêter ça avec les membres de mon groupe de recherche !

Un nouveau ” baromètre ” géologique

Qu’apportent ces travaux dans l’avancée des connaissances scientifiques de Mars ?
Ce résultat est très passionnant parce que l’on pense que dans le passé, Mars avait une atmosphère beaucoup plus dense qu’aujourd’hui, peut être même similaire à l’atmosphère terrestre, mais l’on ne sait toujours pas vraiment quand Mars a perdu son atmosphère, et combien de temps cela a pris. Avec ce nouveau ” baromètre ” géologique, on espère pouvoir contribuer à répondre à ces questions. 

La recherche spatiale fascine énormément de monde, mais il semble aussi difficile d’en faire son métier. Quel est votre conseil pour y parvenir ?
Comme pour toute recherche scientifique, la voie royale est le doctorat. Pour le domaine de la recherche spatiale en particulier, qui est dominé par les mathématiques et la physique, il est conseillé aux étudiants de poursuivre des études en sciences fondamentales, que ça soit en classes préparatoires puis école d’ingénieurs, ou à l’université. Mon conseil personnel est de, dès la licence, postuler à des stages de recherche dans le domaine pendant les vacances d’été. Ces stages m’ont permis de trouver ma vocation, mais aussi de me construire une expérience qui, peut être, a fait la différence plus tard quand j’ai candidaté pour mon poste actuel.

Et vous rêvez d’aller poser un pied sur Mars un jour pour vérifier l’exactitude de vos recherches ?
J’aime trop la Terre pour risquer de ne plus y revenir. Mais si l’on me promet un ticket retour, alors oui, sans hésitations !

Menu
logo facebook logo instagram logo twitter logo linkedin