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“Pourtant Chacun Tue ce qu’il Aime” : Entretien avec Camille Mutel, chorégraphe passionnée et déodatienne d’origine

Le 02 octobre 2023 par Lilia Akani
© CamilleMutel © Bohumil Kostohryz

Et si les actes du quotidien devenaient des gestes artistiques ? C’est ce que propose Camille Mutel dans son spectacle “Pourtant Chacun Tue ce qu’il Aime” : inspiré du milieu rural et de la relation entre l’humain et l’animal. Un spectacle pour lequel elle est allée à la rencontre de pêcheurs, éleveurs et chasseurs. L’occasion aussi de rappeler que cette relation se crée avant tout dans le respect. Entretien avec celle qui rend le geste poétique.

Camille, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours

Je m’appelle Camille Mutel. Je suis danseuse et chorégraphe. Je travaille autour du geste plus que de la danse telle qu’on l’imagine communément. Geste quotidien, geste du travailleur.se, gestes répétés sans relâches, ils sont une chorégraphie singulière créée par chacun.e. Chaque être – sans même le savoir – a déployé un langage chorégraphique en lien à sa propre physicalité et à sa propre pratique. Chacune de ces chorégraphies intimes raconte intensément et dans le détail, la vie de celles et ceux qui les ont façonnées. Et chacune de ces chorégraphies a en retour façonné le corps de celles et ceux qui la pratique.
Ce potentiel de métamorphose et de transformation de la danse m’émeut. Et j’aime la mettre en lumière.

Pourquoi avoir choisi la danse ?

J’ai choisi la danse très jeune, car elle me permettait d’exprimer en silence ce qui me traversait. La danse a toujours été liée à l’intime et au langage.

D’où vient ce rapport au mouvement ?

J’ai beaucoup étudié au Japon. Le détail du corps, le détail des postures, la relation à la durée et au temps, la prise en compte du vide et la recherche de l’équilibre m’ont tenu lieu de guide pendant toute la durée de mon apprentissage (qui très probablement ne sera jamais fini). Le silence est difficile – peut-être même impossible – à obtenir. Il est une voie intérieure. Il y a un silence qui se crée lorsqu’on répète inlassablement le même geste. Au bout d’un moment, on n’y pense plus. Alors l’autre et le monde peuvent faire irruption. Et parfois, on se retrouve à être présent, entièrement, sans savoir par où cela est passé. Je cherche cet état de présence en étudiant la cérémonie de thé ou encore la danse butoh depuis plus de 20 ans. Je cherche un silence qui relie. Ce silence est un axe, un équilibre en dialogue avec le geste qui lui aussi est un axe. Leur point d’ancrage bouge constamment et se réactualise sans cesse. Parfois au théâtre on touche à cet instant de grâce où le silence des spectateurs.trices. rejoint celui des danseur.euses à travers le geste. Ce sont des moments pleins, vivants, partagés.

Votre travail est reconnu en France, mais aussi à l’international. Pourtant, votre projet s’inscrit dans une approche locale, pour quelles raisons ?

Je suis déodatienne à l’origine. Après un énième long séjour au Japon en 2019, je suis rentrée en me demandant comment ce que j’apprenais là-bas pouvait résonner ici sans faire montre d’exotisme. Il me semblait que j’y avais appris des choses très simples et par conséquent très difficiles à représenter. Le rapport au vivant, à la nature, à l’autre ne varie pas fondamentalement d’une culture à une autre. Mais la forme donnée à cette relation est singulière à chaque pays. Mes outils n’étant pas ceux d’un maître de thé, mais bien ceux d’une danseuse, j’ai cherché à refaire du lien ici et maintenant.

Comment est né ce spectacle (l’idée, les chorégraphies, la rencontre avec les paysans…) ?

“Pourtant chacun tue ce qu’il aime” © Katherine Longly

Ce spectacle est le second volet d’une quadrilogie sur le rapport de l’homme au vivant. Ce spectacle prend pour appui la question du geste qui consiste à tuer pour se nourrir. J’ai mis de côté la question des abattoirs. Il m’intéressait de travailler, d’apprendre et d’écouter différentes personnes qui le pratiquent ou qui ont arrêté de le pratiquer pour y cerner quelque chose du lien à l’animal, puis plus généralement du lien au vivant, végétal, et animal.
Nous avons rencontré des chasseur.euses, cueilleur.euses, pêcheur.euses, paysan.nes qui ont pris le temps de nous transmettre leur savoir-faire.
Pour la plupart, il s’agit d’un geste sacré qui porte en son sein le sacrilège. Je n’ai rencontré personne qui le pratique de façon légère. Ce geste intervient dans une longue relation qui lie l’homme à l’animal et au vivant. Il s’agit d’un écosystème de gestes qui les relient depuis la naissance, jusqu’à la mort, en passant par le soin. Il ne peut pas y avoir d’indifférence.
Paradoxalement, la plupart des paysans rencontrés qui refusent l’abattoir et le pratiquent eux-mêmes le
font par respect (le mot amour n’est jamais prononcé) pour l’animal.
J’ai essayé de ne pas enjoliver non plus ce lien. Certaines pratiques sont moins respectueuses que d’autres. Mais au fur et à mesure de l’enquête, il m’est apparu que la plupart de nos actions ont un pouvoir destructeur envers la faune et la flore – quand bien même on ne regarde pas la mort en face. La survie d’une espèce se fait aux dépens d’autres espèces. Alors la gestuelle mise en place dans ce spectacle tente de rendre hommage à ces disparitions. Elle place au centre de la relation un geste violent, complexe, teinté de respect. Le spectacle invente une cérémonie dans laquelle les orgues soufflent pour ces morts et ces vivants qui cohabitent autour de gestes et de pratiques inégalitaires, mais nécessaires à la survie d’une espèce.

Concernant les danseurs, pourquoi avoir choisi ce duo masculin ?

Je connaissais Philippe Chosson pour avoir déjà travaillé avec lui par le passé. J’aime sa façon très délicate de découper les gestes et de prendre le temps au plateau. Je n’avais jamais travaillé avec Kerem Gelebek, mais l’élégance de ses gestes a toujours provoqué une grande joie dans mon regard de spectatrice. Il me fallait pour traiter un thème aussi fin deux danseurs qui savent être en retrait et dont le raffinement et la maîtrise permette de donner à voir l’entièreté de la violence du geste.

Des projets à venir ?

Nous commençons à travailler sur le troisième volet de la quadrilogie qui se déploiera sur quatre ans dans la Région des Pays du sel aux alentours de Nancy. Elle aura pour thème le lien au minéral (le sel) en coconstruction avec les habitants et la photographe Katherine Longly.

Dates :

Le mardi 14 Novembre – 20h30 à Épinal à Scènes Vosges

Le mercredi 15 Novembre à 20h et le jeudi 16 Novembre à 19h au Centre Culturel André Malraux – Scène Nationale Vandœuvre lès Nancy

Dates à venir en 2024

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