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Images populaires : Le Trésor d’Épinal entre chez Gallimard

Le 16 octobre 2022 par Francoise Fontanelle
Images populaires : Le Trésor d'Épinal entre chez Gallimard
Dans cet ouvrage original, richement illustré, Christelle Rochette (en rouge) et Jennifer Heim, reviennent sur le sens premier des images populaires et sur ce qui les distingue des images dites « savantes ».
© Vega Edition

Après Flaubert, Le Caravage, la Monnaie de Paris, Yves Saint-Laurent, et bientôt la maison Chaumet, les Images d’Épinal font l’objet d’un hors-série de la collection Découvertes éditée par Gallimard. Au fil des doubles pages intérieures, le lecteur découvre un haut-lieu de notre culture. Pour Le Trésor d’Épinal, l’éditeur a confié à Christelle Rochette et Jennifer Heim, du Musée de l’Image, l’élaboration des contenus.

C’est une chance d’être publié par Gallimard ?

Christelle Rochette – La plupart du temps nous éditons des catalogues d’exposition ou des brochures sans autre diffusion que notre boutique. Je ne m’attendais pas à ce que le responsable de la collection de Gallimard montre autant d’enthousiasme pour l’imagerie populaire. En leur montrant quelques images et en leur expliquant leur histoire, ils ont été tout de suite intéressés et tout s’est fait très naturellement. Il est vrai qu’il nous manquait un ouvrage sur nos collections, qui soit diffusé au niveau national. C’est pour cette raison que le livre porte sur les seules images qui ont été éditées à Épinal dans les siècles passés. Car « Image d’Épinal » est devenu un terme générique qui regroupe aujourd’hui toute l’imagerie populaire. 

Jennifer Heim – En effet, Épinal a su créer un genre et a su tellement s’imposer que le vocable « Images d’Épinal » a servi à designer des images éditées ailleurs qu’à Épinal.

Ce livre est donc l’occasion de repréciser les choses

C. R. – Nous revenons sur les vocations de l’imagerie populaire et les techniques employées à Épinal ‑ la gravure sur bois puis la lithographie – et bien sûr sur les fondamentaux, à savoir l’image religieuse avec les images de protection, mais aussi sur l’image éducative, ludique, décorative, ainsi que l’information et la propagande dans les différents modules qui composent ce livre.

Quel était le cahier des charges de Gallimard ?

C. R. – Les hors-série de cette collection sont consacrés à des métiers, des institutions, des fondations. Les ouvrages sont systématiquement construits de la même manière. C’est-à-dire, un petit livret au début, un autre à la fin et, entre les deux livrets dix modules qui abordent les thèmes que nous avons choisis ensemble L’idée de ces hors-série, comme la collection Découvertes qui a été créée dans les années 1980 par Gallimard, était de faire un ouvrage très illustré, qui mêle images et textes de façon dynamique.

Comment s’est opérée la sélection des visuels ?

C. R. – C’était un exerce compliqué, car il y a des images incontournables.

J. H. – Nous ne pouvions pas, non plus, aller chercher des images qui, certes n’avaient jamais été publiées, mais n’étaient pas le reflet de la généralité dont nous voulions parler.

CR – Cela montre également la diversité de la production, que ce soit celle de Pellerin ou celle de Charles Pinot, que l’on oublie souvent, deux imageries auxquelles nous consacrons un chapitre entier.

J. H. – Ils se sont énormément concurrencés, notamment sur les abat-jour. L’un a lancé sa série et en réaction l’autre a lancé sa propre série, en voulant faire encore plus beau, avec encore plus d’effets d’architecture et de lumière. Entre 1860 et 1870, on parle de l’âge d’or de l’image d’Épinal, car cette concurrence a provoqué un phénomène d’émulation extrêmement sain pour la production et la créativité.

On le sait moins mais la décoration représentait un part importante de la production…

J. H. – Ces images remplissaient certes des fonctions de dévotion par exemple, mais l’aspect décoratif n’était pas négligé, d’où cette floraison de couleurs de plus en plus fortes au fil du temps et peu vraisemblables au regard de la réalité.

C. R. – Les progrès de la chimie ont fait apparaître, au XIXe siècle des gammes de violet intenses et de fuschia qui faisaient mal aux yeux. Les élites les trouvaient vulgaires et le clergé s’insurgeait contre ces teintes. Dans le même temps, les habitations étaient, à l’époque, assez sombres.

J. H. – Et la gravure sur bois n’était pas considérée comme raffinée, comparée à ce que pouvaient être les eaux fortes des œuvres d’art savantes de l’époque.

C. R. – Il fallait, pour que les images soient accessibles à tous, une production énorme et rapide.

Pourtant certains artistes se sont intéressés aux images populaires ?

J. H. – Pierre-Édouard Frère faisait partie d’un courant où se sont retrouvés un tas d’artistes qui se sont intéressés à la vie paysanne et populaire. Dans leurs tableaux on voit l’usage qui était fait de l’imagerie populaire que l’on peu parfois identifier et relier aux productions des Imageries. 

C. R. – C’est intéressant, car cela contextualise l’usage de ces images, souvent abîmées, noircies, collées ou coulées au mur.

J. H. – Oui. D’ailleurs le colporteur était très attendu, contrairement à aujourd’hui, le fait de posséder une image était rare. Même peu cher, c’était quelque chose de précieux pour ces populations.

Un module est consacré à l’image pédagogique, comment est-elle apparue ?

C. R. : Le XIXe apparaît comme un période de transition et l’imagerie populaire prend clairement une connotation enfantine, ludique et pédagogique. D’une part l’enfant devient une pièce centrale dans la société bourgeoise de l’époque, de l’autre cette période correspond à l’arrivée de l’instruction publique. L’enseignement va s’appuyer sur l’image avec les abécédaires et les représentations des rois de France.

J. H. – Oui, jusque-là l’image était jugée divertissante, accusée de détourner l’enfant de la leçon. Certains pédagogues mettaient déjà en avant ce pouvoir très fort de l’image dans l’apprentissage, repris par les Imageries. Mais ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’elles ont été intégrées officiellement à l’école.

L’image est aussi devenue histoire…

J. H. – Nous avons également consacré un petit module aux fameuses planches à multiples cases qui sont aussi caractéristiques de l’image d’Épinal et des images populaires dédiées aux enfants à partir des années 1840. On voit l’évolution depuis la « planche à gaufrier », non seulement dans la forme mais également dans le contenu de ces cases. Les premières historiettes à case montraient différents épisodes d’une histoire, très éloignés les uns des autres. Au fur et à mesure que le XIXe siècle passe, les épisodes se rapprochent, jusqu’à former des scènes très réduites où l’on a presque une décomposition des actions et du mouvement, comme dans la BD actuelle. Comme nous l’avions montré dans l’exposition sur les prémices de la bande dessinée l’an dernier, les premières planches à multiples cases formaient des focus sur certains épisodes, comme des ellipses, que lecteurs étaient censés relier entre eux, car ils connaissaient déjà ces récits et histoires ancestrales. Ce sont les illustrateurs des revues  parisiennes et des revues caricaturales qui, engagés par Pellerin, ont amené ces formes nouvelles de dessin avec des formes de pantomime et de gestes décomposés.

C. R. – En effet, les graveurs étaient des artisans. Ils ne travaillaient pas comme les illustrateurs de presse considérés comme des artistes. Leur arrivée va sortir l’image de son côté moralisateur et la rendre plus ludique, plus humoristique.

La publication de cet ouvrage, laisse-t-elle supposer un regain d’attention pour l’image ?

J. H. – Nous assistons à cette tendance qui consiste à contrecarrer la place des écrans ; à un retour à ces jeux plus simples comme le découpage.

C. R.  – Et ce livre, qui va à l’essentiel, est une très bonne introduction pour découvrir les collections.

Le trésor d’Épinal – Imagerie populaire
Christelle Rochette et Jennifer Heim
76 pages / 100 illustrations
Hors série découvertes Gallimard / Musée de l’Image
Septembre 2022 – 13,90 €

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