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Livre : bicentenaire du fondateur du Prix Goncourt

Le 26 septembre 2022 par Jordane Rommevaux
Les frères Goncourt (Edmond à gauche, Jules à droite) photographiés par Félix Nadar.
© Félix Nadar

Le 26 mai 1822 naissait Edmond Louis Antoine Huot de Goncourt. Journaliste, auteur et instigateur du prix littéraire éponyme, il fut avec son frère cadet, Jules, l’un des précurseurs du genre naturaliste en littérature. L’intérêt du public français et étranger, pour ce prix Goncourt, témoigne de son impact sur la littérature. Mais que savons-nous de lui au juste ?

La jeunesse des frères Goncourt

Edmond et Jules de Goncourt, sont nés dans une famille bourgeoise entrée depuis peu dans la petite aristocratie. Leur père, officier au sein de l’armée napoléonienne, et leur sœur Émilie emportés par le choléra en 1832, la famille se reconstruit autour de leur mère, qu’ils idolâtrent. Devenue veuve très jeune, elle conserve néanmoins son train de vie grâce à une rente annuelle confortable.

Les deux frères font des études prestigieuses au collège Bourbon à Paris (actuel lycée Condorcet) où ils se passionnent pour la littérature et l’écriture. Edmond et Jules se ressemblent peu, mais forment pourtant un duo complémentaire depuis l’enfance. Edmond embrasse une carrière de comptable à la Caisse centrale du Trésor public, une profession et un poste qu’il déteste. Le décès de leur mère en 1848 laisse les deux frères effondrés mais désormais rentiers. Edmond peut oublier la comptabilité, une nouvelle vie d’auteur à plein temps peut alors commencer.

Juledmond, un duo novateur

Les frères Goncourt écrivent à quatre mains, allant même jusqu’à signer leurs lettres de leur surnom Juledmond. Bourreaux de travail, les frères seront néanmoins boudés au début de leur carrière littéraire : le public préfère les romans aux ouvrages historiques. Leur premier roman, En 18…, qui parait le 2 décembre 1851, jour du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, passe donc inaperçu. Quant au second, Histoire de la société française sous la Révolution, paru en 1854, il ne sera reconnu par la critique qu’après la mort des frères.

Il faut attendre 1865 pour que paraisse leur premier grand succès, Germinie Lacerteux, qui s’inspire librement de la double vie, partagée entre alcool et culpabilité, de leur domestique Rose Malingre. Cette description tragique de la vie de la population française inscrit Edmond et Jules de Goncourt parmi les précurseurs du mouvement naturaliste (mouvement littéraire qui vise à reproduire objectivement la réalité).

Émile Zola, impressionné par ce genre littéraire nouveau, qu’il façonnera plus tard avec Thérèse Raquin, dira qu’il « a fait entrer le peuple dans le roman ».

La vie les sépare

Les deux frères tiennent un journal personnel qui dépeint la vie littéraire, politique et artistique du XIXe siècle et dresse de leurs plumes acérées le portrait moqueur et sans concession de leurs contemporains. Quand Jules meurt prématurément en 1870 des suites d’une paralysie générale progressive, l’aîné des frères est inconsolable et dit de lui-même qu’il est désormais « veuf ».

Cependant, encouragé et soutenu par ses amis auteurs, Edmond poursuit l’œuvre commencée à quatre mains avec Jules : La Fille Élisa, obtient un franc succès en 1877, et il reprend l’écriture du journal qu’il fera publier dès 1887 sous le titres Journal, Mémoires de la vie littéraire. Pourtant, la notoriété actuelle des frères Goncourt découle principalement de l’Académie et du prix éponyme, et l’on est souvent surpris d’apprendre qu’ils ont, au cours de leur carrière, écrit 59 ouvrages sur une période de 45 ans.

Le grenier d’Auteuil

Depuis leur plus jeune âge, les frères Goncourt rêvent de voir renaître le prestige des salons littéraires du XVIIIe siècle. Après le décès de Jules, Edmond recherche la compagnie d’auteurs, célèbres ou débutants, qui contribuent par leur présence à alimenter son Journal. Le Grenier des Goncourt, surnommé le grenier d’Auteuil, accueille dès 1885, de jeunes auteurs pour les guider et leur permettre de trouver leur style. Pendant près de dix ans, dans son Salon où sont exposés bibelots japonais, livres rares et dessins du XVIIIe siècle (les deux frères sont également des collectionneurs et des antiquaires reconnus), de nombreux écrivains et artistes vont tenter d’éclipser l’influence du symbolisme (courant littéraire de l’imaginaire et du fantastique dont Baudelaire, Verlaine et Rimbaud sont les précurseurs) et de passionner la jeunesse pour le naturalisme.

L’Académie et le prix Goncourt

Farouchement opposés aux pratiques de l’Académie française – à qui ils reprochent d’avoir fermé les portes de l’immortalité à de grands noms de la littérature par favoritisme et amateurisme – les frères rêvent de créer un cercle d’auteurs qui ne soit composé que d’hommes de lettres. D’ailleurs dans son testament, Edmond de Goncourt déshéritera ses héritiers au profit de la création d’une académie à son nom et en mémoire de son frère, sous la supervision de leur ami, Alphonse Daudet : « Pour avoir l’honneur de faire partie de la Société, il sera nécessaire d’être homme de lettres, rien qu’homme de lettres, on n’y recevra ni grands seigneurs, ni hommes politiques ».

Cette société littéraire, reconnue d’utilité publique en 1903, est composée de dix membres chargés de récompenser le meilleur ouvrage littéraire chaque année. Les lauréats reçoivent aujourd’hui un prix qui peut surprendre : un chèque de 10 euros ! Car la véritable récompense du prix Goncourt, c’est la notoriété. Voir « Prix Goncourt » associé au nom de l’auteur fait grimper le tirage et les ventes (Marguerite Duras a atteint 1,6 million d’exemplaires avec L’Amant, dépassée par L’anomalie d’Hervé Le Tellier avec 1,63 million en 2020).

L’héritage du prix Goncourt

Chaque année début novembre, de nouveaux auteurs rejoignent les rangs des heureux lauréats et entrent dans l’histoire de la littérature française. La volonté des frères Goncourt, de récompenser de nouveaux auteurs inconnus du grand public, ne fut pas toujours respectée et des auteurs, déjà largement publiés, furent primés.

Néanmoins, il arrive que les choix de ses académiciens soient pointés du doigt par la presse et le public. Règlement de compte par livres interposés ou plagiat, le prix a l’habitude de défrayer la chronique. Dernier scandale en date, François Noudelmann, l’un des auteurs sélectionnés dans la liste du prix Goncourt, n’est autre que le conjoint de Camille Laurens, jurée dudit prix. Vous avez dit conflit d’intérêt ?

Malgré cette mauvaise presse occasionnelle, le prix célèbre la vision des frères Goncourt. De jeunes auteurs tel Mohamed Mbougar Sarr, pour La plus secrète mémoire des hommes, lauréat 2021, sont mis à l’honneur et encouragés à poursuivre leur travail. Et, pour l’anecdote, Romain Gary a remporté deux fois le prix avec : Les racines du ciel en 1956 et La Vie devant soi qu’il publie sous le pseudonyme d’Émile Ajar en 1975.

Et l’Académie insuffle depuis 1988, le goût de la lecture au jeune public grâce au prix Goncourt des lycéens (en partenariat avec la FNAC, le Ministère de l’Éducation Nationale et l’association Bruit de Lire). 2000 élèves étudient les romans finalistes du Goncourt et désignent le nouveau lauréat du Goncourt des lycéens. S’adapter de Clara Dupont-Monod (Stock) a reçu une ovation des lecteurs du concours en 2021.

Célébration

Dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, les 17 et 18 septembre, Edmond de Goncourt est à l’honneur aux Archives Municipales de Nancy. L’exposition, La Vie des Goncourt, invite à découvrir les fonds, très privés, de l’Académie Goncourt et à poursuivre leur découverte en se rendant devant la maison qui l’a vu naître (Rue des Carmes) et devant la Rue des Goncourt.

L’autre visage des frères Goncourt

Le livre de Pierre Ménard, Les infréquentables frères Goncourt dépeint des auteurs touche-à-tout, passionnés d’art. Chroniqueur du XIXe siècle, le duo ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de décrire leurs contemporains, en particulier les femmes à propos desquelles, ils font preuve d’une effroyable misogynie. D’une nature sociable, les frères sont de toutes les occasions, chez la princesse Mathilde, au salon des Rothschild et dans leur propre grenier, ne manquant jamais de relever un trait d’esprit manqué ou le ridicule vestimentaire de certains.

Les infréquentables frères Goncourt
Pierre Ménard
Ed. Tallandier – nov. 2021

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