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Yves Duteil : « L’homme descend du songe »

Le 05 septembre 2013 par Bruno Veillon

Yves Duteil n’est pas pressé, il regarde notre époque, en observe ses lumières et ses fragilités. Il pèse chaque parole, prolonge ses sentences par des silences.

Rencontre avec ce musicien philosophe, ciseleur de mots et de mélodies, à quelques jours de son concert dans les Vosges.

Bonjour Yves Duteil, comment vous entamez cette rentrée musicale ?

J’ai eu un été de travail, j’ai commencé à bâtir le nouveau spectacle qui sera donné au Trianon à Paris en janvier 2014, basé sur les nouvelles chansons de l’album Flagrant Délice (sorti en novembre 2012) et qui a été interrompu par une parenthèse médicale, une opération du coeur, mais je suis guéri et en pleine forme. Je viens respirer le bon air des Vosges pour parfaire ma convalescence !

Votre musique oscille entre ballades légères et textes engagés. Comment vous définissez aujourd’hui vos compositions ?

C’est un regard réaliste sur les travers de notre époque, ce que je dis dans la chanson Le Temps presse je le pense très profondément : on ne prend pas le temps de regarder, de réfléchir. C’est un peu le défaut de notre époque, en matière politique, environnementale, économique, dans les relations humaines : on fait beaucoup sans réfléchir. Et du coup on fait à l’inverse de ce qui serait souhaitable. Mais notre époque a aussi des qualités ! Dans ma chanson Je t’mms, je souligne les cotés très poétiques du téléphone portable au contraire du discours ambiant. 

C’est un regard doux-amer sur les Français ?

Je n’ai pas d’amertume. On vit une époque incroyablement foisonnante, on traverse une période d’une densité extraordinaire dans l’évolution, dans sa rapidité, dans les crises. C’est une époque troublée, violente, mais en même temps où d’autres choses vont très vites comme la recherche médicale, l’humanitaire, la technologie… Dans Ma grammaire de l’impossible, je chante que l’avenir c’est nous qui allons l’écrire. On a la graine du meilleur et du pire, on a Martin Luther King et on a Bachar el-Assad, on a à la fois cette préoccupation de l’autre par des gens comme Soeur Emmanuelle ou Mère Teresa, et en même temps une espèce de haine ambiante qui nous met en danger et qui sème la violence. 

C’est quoi votre art de vivre à vous au milieu de cette époque que vous dites ” troublée ” ?

On a beaucoup vu à travers les textes de mes chansons quelque chose de léger et désuet, sans voir une véritable spiritualité ou une réflexion dans l’affirmation de la fragilité comme un atout, de la douceur comme une nécessité et de l’ouverture vers les autres comme une urgence. 

Vous êtes justement engagés dans plusieurs mouvements solidaires.

Oui. Avec une chanson qui s’appelle Le souffle court, qui parle de la mucoviscidose. Cela fait longtemps que je voulais écrire sur cette maladie. La chanson va devenir l’hymne des Virades de l’espoir. J’ai toujours été frappé par le décalage entre la perception qu’on a de cette maladie presqu’invisible et sa gravité. C’est une maladie dont on peut néanmoins espérer un jour une guérison grâce à l’effort de la recherche. Je suis devenu parrain de Vaincre la mucoviscidose.

Sinon, j’ai mon association en Inde avec mon épouse Noëlle et mon beau-frère, nous y avons une école qui s’appelle l’Apres School (www.apresschool.org) pour réhabiliter les espaces et les populations sinistrés après le tsunami de 2004. Cette école accueille aujourd’hui soixante élèves issus des milieux défavorisés indiens. Pour deux euros par jour seulement on peut offrir un avenir à ces enfants. 

Vous êtes un artisan des mots, vous cultivez vos textes comme un orfèvre, vous avez une maison d’édition… Le texte est chez vous plus important que la musique ?

Oui pour moi les mots viennent d’abord. Mais l’époque est révolue où l’on venait juste réciter un texte sur scène. La chanson pour moi c’est le complément indispensable à tous ces mots. Artisan des mots je le revendique complètement, musicien aussi. La poésie est quelque chose de très réaliste, elle n’existe que si elle se relie au réel.

Un artisan des mots qui cherche le mot parfait, le mot exact qui convient le mieux à son texte ?
 
Moi ma passion c’est le mot juste. C’est la recherche du mot précis qui dit ce qu’on ressent précisément, qui transmette l’émotion la plus proche. Le mot ” juste ” est le plus incroyable de la langue française ! Il veut dire “exact” mais aussi qu’il n’y a pas assez. Il est le fruit du calcul mais il est aussi le résultat. Un juge doit être juste, il évoque la vérité, les Justes de la guerre, on pourrait en parler pendant des heures. C’est le mot scientifique, il devrait être le roi dans le monde du travail, de la politique… C’est probablement le mot qui a guidé ma vie. C’est un héritage, le fait d’être le petit neveu d’Alfred Dreyfus donne un certain sentiment d’injustice. 
 
On ne vous voit pas trop changer depuis vos débuts dans les années 70… Vous cultivez une sorte de philosophie de la constance ?

C’est vrai, j’ai une fidélité à moi-même tout en étant à la recherche de la nouveauté. Mais l’image de mes chansons a changé. Dans les années 70-80 j’écrivais La Tarentelle, le Petit Pont de Bois… puis peu à peu ça a évolué dans les années 80-90, j’ai écris des chansons plus profondes comme Pour les enfants du monde entier, La langue de chez nous ou Dreyfus…Ensuite, des chansons encore plus fouillées, comme dans mon dernier album Et si la clé était ailleurs ? fruit d’une réflexion quasi-philosophique. Je suis de ceux qui pensent que l’homme descend du ” songe “…

Vos titres ont traversé les époques. “Prendre un enfant par la main” a été élu plus belle chanson du siècle et possède même depuis peu sa version japonaise ! 

Je ne me suis jamais lassé de cette chanson, je la chante à chaque concert, si ce n’était pas le cas, je ne sortirais pas vivant de la salle ! C’est une chanson qui a un voyage absolument extraordinaire, elle continue son chemin à travers les chorales, les naissances, les baptêmes,… Ça peut être une chanson de combat, elle a été la chanson des marches blanches au moment de l’affaire Dutroux. De la même façon, la chanson Naître évoque la paternité sous l’angle d’un homme qui rêverait de porter un enfant. 

Je ne peux pas ne pas terminer sans vous poser la question : vous allez vous représenter en 2014 à la mairie de Précy-sur-Marne dont vous êtes maire depuis 1989 ?

J’ai pas encore réfléchi à cette question, c’est pas encore d’actualité. 

Vous réfléchissez à renoncer alors ?
Non, mais je pense qu’il y a un temps pour tout. Et celui de me déclarer n’est pas encore arrivé.

En prenant du recul, est-ce que vous pensez au jour où vous raccrocherez les crampons ?

Moi j’ai envie de continuer jusqu’au bout, c’est aussi important d’écrire les chansons que de les chanter. C’est vital, je ne peux pas m’en passer, c’est ce qui me rend rêveur et je n’ai pas envie d’arrêter ça. Même si je n’écrivais plus de chansons, je continuerai à écrire des livres.

En concert le samedi 21 septembre 2013 à 20h30
Salle polyvalente de Fraize
Tarif : 39 euros 
Résa. 03 29 50 43 75

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