Portrait : Agnès Ledig – la romancière inspirée par les Vosges !
Agnès Ledig fait partie de ces romancières qui murmurent à l’oreille de ses lecteurs. Auteur de huit best-sellers, cette ancienne sage-femme raconte, avec une extrême sensibilité et un humanisme fort, le parcours de personnages blessés dont elle décrit la renaissance. Installée dans les Vosges depuis deux ans et demi, elle a puisé dans les paysages qui font désormais son quotidien, la force de l’intrigue de son dernier roman, Un abri de fortune.
Ce n’est pas la première fois que les paysages des Vosges constituent le cadre de vos romans. Pour Un abri de fortune, il semble qu’ils sont la véritable source d’inspiration de l’intrigue de ce dernier roman… D’ailleurs, de nombreux lecteurs les reconnaîtront, comme les jardins de Berchigranges…
Je me suis inspirée de notre lieu de vie pour construire cette histoire. J’ai simplement changé les noms pour « brouiller les pistes » mais c’est très proche de ma réalité. En particulier la cavité de pierre qui s’enfonce dans le sol que nous avons trouvée dans notre coin de forêt, qui m’a donné quelques idées pour nouer l’intrigue.
Qu’est-ce que les Vosges ont de particulier ?
Je pense que les Vosges ont une ambiance particulière. Dans la série Zone blanche, qui a été tournée ici, la forêt devient un personnage à elle toute seule. J’avais envie d’en faire un havre de paix et une entité avec laquelle on peut inconsciemment communiquer. De m’en servir pour montrer à quel point la nature est dans nos cœurs. C’est pour cela que mes personnages s’accrochent à ces bouées de nature : les chevaux pour Rémy, le potager et les plantes sauvages pour Clémence. Aussi pour la beauté, tout simplement. La communication non verbale que l’on peut avoir avec les animaux me semblait intéressante à développer, notamment avec les chevaux qui ressentent beaucoup nos émotions. On a tous besoin de nous reconnecter avec la nature. Elle permet de mettre la violence et la douleur de côté…
L’histoire, notamment la Seconde Guerre mondiale et la bataille de Bruyères, est également au cœur du roman et de son intrigue. Comment l’avez-vous découverte ?
Le lieu où nous habitons est situé au pied de cette crête où a eu lieu la bataille. Mon mari et moi avons été très fascinés par cette histoire car lorsque l’on se promène sur le chemin de crête, on peut voir des panneaux cloués sur des arbres qui mentionnent des noms japonais. C’est très étonnant. Cela nous a donné envie de faire des recherches et c’est ainsi que l’on a découvert cette bataille qui est au Pentagone et qui fait partie des dix plus importantes que les États-Unis ont menées à l’extérieur de ses frontières. Cela m’a amenée à découvrir l’histoire des Nippo-américains, des camps de concentration après Pearl Harbor. Ça pose question de sacrifier 800 Nippo-américains pour sauver 200 Texans… En faisant des recherches, j’ai découvert que ces soldats étaient très gentils avec la population, et cela m’a donné envie de saluer ces hommes qui sont venus combattre ici. Au fur et à mesure de mes recherches, j’ai découvert l’existence de lois de Pétain et les risques qu’encourraient les sages-femmes qui faisaient des avortements et qui pouvaient être décapitées. J’aime beaucoup faire ce travail de recherches en amont de mes romans. J’apprends plein de choses et je suis très heureuse de les transmettre aux lecteurs et aux journalistes parisiens qui ne connaissaient pas cette histoire.
Ce roman raconte aussi l’histoire au présent. Qui met en lumière ces personnes qui donnent aux autres et sont essentiels (pompiers, infirmières, assistantes sociales, éducateurs, psychiatres,…), qui aident les autres à se reconstruire et dont on ne parle jamais…
En effet, ça paraît normal qu’ils soient là. Et on ne se rend pas compte de la difficulté et de l’importance de ces métiers. J’ai été moi-même soignante et confrontée à ces situations et au manque de reconnaissance. Nous sommes encore dans une société où si l’on va voir un psy, c’est parce que l’on est fou. Il y a toujours cette étiquette négative sur la psychiatrie et la psychologie. J’avais vraiment envie de traduire à travers mes personnage, à quel point cela peut aider. Or ce secteur est réellement en crise et je pense que c’est une bombe à retardement, car les risques sont grands pour les gens qui ont besoin d’aide et à qui on ne propose rien.
Le titre, Un abri de fortune, est très pertinent par le double sens de « fortune » qui désigne quelque chose de précaire, un pis aller, mais également la chance et le bonheur.
Exactement. Appeler le lieu un abri de fortune peut sembler réducteur et, dans le même temps, « les Censes perdues » sont un véritable abri pour retrouver sa richesse intérieure et un sens à sa vie. Les personnages viennent s’y réfugier faute de mieux et, en fait, c’est là qu’ils vont retrouver leurs repères. Sortir d’un contexte peut tout changer, comme pour Rémy qui sort de prison.
La condition des femmes est aussi un sujet central dans vos romans.
Comme beaucoup de femmes et d’hommes je suis effarée que les choses ne changent pas, ou presque. Le nombre de victimes, chaque année, reste identique et il faut vraiment que le politique prenne à bras le corps ce problème en donnant à la justice les moyens de faire appliquer les lois existantes. J’aborde également la notion d’injustice dans
Un abri de fortune. Je pense qu’il est dangereux de tendre vers une société où, par manque de moyens, on finit par se faire justice soi-même. C’est extrêmement dangereux pour la démocratie. Un abri de fortune est sorti quasiment en même temps que le livre de Philippe Besson, que je viens de lire. Nous y abordons tous deux le sujet des enfants de féminicides, sans se concerter. On ne parle jamais de ces enfants et on ne sait pas ce qu’ils deviennent. En écoutant une interview de lui, j’ai appris que, même si le père est en prison pour avoir tué la mère de l’enfant, il ne perd pas son autorité parentale. C’est assez hallucinant… Un autre point, que j’aborde également dans Un abri de fortune, est celui du consentement. La scène entre Karine et Frédéric, vers la fin du roman, aurait pu très mal tourner. J’avais envie de montrer, au travers de cette scène, que le consentement dans la relation intime est quelque chose de très ténu et que les hommes devraient être éduqués à entendre la non verbalisation des femmes, et les femmes pouvoir apprendre à dire non, malgré la crainte de décevoir. Il y a un énorme travail à faire. La libération de la parole des femmes est très importante, et un travail, en parallèle, sur cette notion d’éducation est nécessaire ; sinon nous risquons d’entrer dans un déséquilibre qui peut, lui aussi, être délétère. Lorsque l’on a eu affaire à un déséquilibre puissant pendant une très longue période, il se passe le même phénomène qu’avec les balances Roberval à deux plateaux : quand on enlève un poids d’un côté, cela crée une bascule de l’autre côté. Le but, c’est de trouver cet équilibre par l’éducation – notamment à l’école comme la loi le prévoit normalement, même si cela prend beaucoup de temps.
Le personnage de Jean, qui occupe « la place du chat » dans le roman, est très intéressant, pas seulement pour des raisons narratives.
C’est vrai. (Rires) Il est statique et silencieux comme les chats. Il observe les autres personnages qui viennent se « frotter » à lui pour apprendre des choses… Il a ce secret, et cette sagesse. J’aime beaucoup décrire les personnes âgées. Je trouve qu’elles nous apportent de grandes choses.
Un roman optimiste et rempli d’humanité. Il est nourri de messages positifs, comme de dire que le désir de vie est plus fort que la peur et les blessures du passé et démontre que ce n’est pas parce que l’on a des faiblesses que l’on n’a pas le potentiel pour devenir fort…
La résilience est un mot qui perd son sens, car à trop l’utiliser on finit par le moquer ou le banaliser. Or c’est un phénomène si important. Boris Cyrulnik est à l’origine de son entrée dans la dimension psychique, alors que la résilience, c’est d’abord un terme du domaine de la mécanique des fluides. Mais il est tellement juste pour définir la capacité à encaisser les chocs mais aussi celle de faire avec la déformation due aux chocs. Mes personnages sont résilients par leur nature, mais aussi parce qu’ils sont accompagnés.
C’est un thème que vous avez développé dans Le petit poucet, un livre jeunesse. Avez-vous des projets d’écriture pour les enfants ?
J’ai toujours cette envie-là. C’est plus un problème de temps. En fait, les projets de littérature jeunesse arrivent spontanément, comme les champignons dans la forêt (Rires). Frédéric Pillot et moi avons toujours cette envie, mais depuis que je suis ici, dans les Vosges, j’ai aussi besoin de travailler au jardin. Je vais m’organiser trouver un nouvel équilibre en travaillant l’hiver sur l’écriture et en gardant l’été pour travailler sur notre micro-ferme.
Un abri de fortune, Agnès Ledig
Éditions Albin Michel
Février 2023
364 pages – 21,90 €
Un article réalisé en partenariat avec le Magazine Tandem, à consulter : ici