Pierre Rabhi et l’insurrection des consciences
Pionnier de l’agriculture biologique, initiateur du mouvement Colibris, expert dans la lutte contre la désertification, Pierre Rabhi en appelle à ” l’insurrection des consciences ” comme à ” la sobriété heureuse “. Il était à Épinal récemment.
L’homme, c’est sûr, rassemble, irradie même. Epinal, comme les autres rendez-vous du genre, a fait le plein. Toute ouïe, tout sourire. À 75 ans, Pierre Rabhi, tout en captant l’attention, redonne en effet espoir. Dans la capacité de chacun à prendre son destin en main, pour inverser le cours d'” un genre humain en péril “.
Le préambule ne souffre d’aucune nouvelle ” faiblesse “, quand ce pionner de l’agriculture biologique dénonce d’une voix douce et assurée à la fois ” la folie, l’espèce de démence de l’humanité, sa violence “. ” La planète est loin d’être perçue comme une oasis. Le genre humain en a fait un gisement de ressources “, constate celui qui invite tout un chacun à ” se libérer du conformisme “, du consumérisme aussi. ” Le bien suprême, poursuit-il, c’est la joie d’exister. Ce bien-là ne s’achète pas. ” Et d’inviter à cheminer vers ” la sobriété heureuse “.
Non à la norme de l’argent
Alors utopiste, Pierre Rabhi ? ” L’utopie, répond-il, est le non lieu de tous les possibles, tout le contraire d’une chimère. Il y a de nouvelles espèces de créativité. Les utopistes ne sont pas pétrifiés par ce que la société considère comme juste ou injuste “. Sus à l’orthodoxie ambiante donc, celle de l’argent notamment, mais sans renier, bien au contraire, l’action. Pierre Rabhi l’a prouvé, dans les pays arides de l’Afrique comme dans la vieille Europe, en oeuvrant avec les populations à retrouver l’autonomie alimentaire.
Là est aussi la force du message. Car chacun peut ” faire sa part “, tel le colibri de la légende amérindienne, oiseau mouche s’activant à lutter contre l’incendie de la forêt, contrecarrant l’apathie, la fatalité générale.
” La nature a-t-elle besoin de l’homme ? Non “
La vision est en tout cas globale : humanité et nature unies dans un même dessein, à un détail près, malicieux celui-là. ” Avons-nous besoin de la nature ? Oui ” ” La nature a-t-elle besoin de l’homme ? Non “. ” A bon entendeur, salut “, ponctue celui pour qui ” l’écologie doit transcender toute politique “. ” Nous sommes tous dans ce registre. Nous sommes les enfants de la nature et nous avons en cela une responsabilité “.
Les pistes de réflexion et de travail ne manquent pas. ” Cela commence par l’éducation des enfants dans la coopération, la bienveillance, les rapports masculin/féminin “. ” Cette associativité là est totalement différente de l’actuelle dualité de l’humain contre l’humain sur la base de chimères, de croyances religieuses ou idéologiques. Je ne crois pas en ces histoires de droite ou de gauche, encore un monde de rivalités, de vanités. En revanche je crois à la vie politique qui met l’humain et la nature au coeur des préoccupations. J’en appelle en cela à l’insurrection des consciences “.
” Ne pas nous prendre pour des marginaux “
Les foules se pressant pour entendre (et échanger avec) Pierre Rabhi signalent certes que ” quelque chose est en marche, encore insuffisant cependant pour constituer une posture politique. Mon grand travail aujourd’hui , c’est qu’on ne nous prenne pas pour des marginaux. Nous avons en effet une proposition sociale très construite, préoccupés que nous sommes, à notre petite échelle, par le devenir global du genre humain “. Un projet ” incontournable “.
Alors que ” l’homme a instrumentalisé ses pulsions négatives “, Pierre Rabhi prévient. A celles ou ceux qui s’achèteraient quelque bonne conscience, la réponse est d’une limpidité absolue : ” on ne change pas les choses en mettant des capteurs solaires sur les toitures, ou en mangeant bio “. Encore faut-il ” confisquer à l’argent les pleins pouvoirs, exalter la puissance de la modération, repenser le tout sur cette puissance-là “.
