Tour de France : l’ex-maillot jaune vosgien Jean-Patrick Nazon ne voit “pas la relève du sprint français”
Sur le village départ à Tomblaine, à l’occasion de la 7e étape du Tour de France, entre Tomblaine et la Planche des Belles-Filles, l’ex-sprinter vosgien Jean-Patrick Nazon, qui est le dernier français à avoir gagner sur les Champs-Elysées, analyse la situation du cyclisme français et vosgiens. Rencontre.
Jean-Patrick, le Tour de France fait son retour dans les Vosges, ce vendredi. L’occasion de faire avec vous un état des lieux du cyclisme français et vosgien. Comment évaluez-vous l’évolution du cyclisme français ?
Ce que je vois, c’est qu’on sent depuis une dizaine d’année que les Français se repositionnent avec ambition sur les grands tours. On a pu observer les excellentes performances de Jean-Christophe Perraud (2e du Tour de France 2014), Romain Bardet (2e en 2016 et 3e en 2017), Thibaut Pinot (3e en 2014) ou encore Julian Alaphilippe qui semblait si proche du podium, voir plus en 2019, après 14 jours avec le maillot (5e au final). Depuis, il y a une belle inertie sur le cyclisme français à tous les niveaux.
Comment expliquez-vous cette progression ?
Nos équipes se sont bien professionnalisées. Il n’y a plus d’écart important avec les meilleures teams mondiales étrangères. On le voit dans les équipes pros, qui ont toutes des équipes jeunes, pour former très rapidement les futurs Français qui intégreront le peloton international. Il y a 10-15ans, ces équipes fonctionnaient avec des clubs régionaux référents, qui faisaient office de formateurs. Aujourd’hui, ils le font eux à l’intérieur dans une seconde équipe, qui s’aligne sur un calendrier très renommé. Cette structuration a permis de rattraper le retard sur les autres nations.
On sent qu’avec l’effet Alaphilippe, on est sur une excellente dynamique. Les Français semblent plus ambitieux qu’avant ?
Forcément ! Ça a commencé par un effet « Pinot », dans un premier temps, où tout le monde pensait qu’il était capable de remporter le Tour. Seulement, ça ne s’est pas concrétisé mais, entre-temps, est arrivé le « phénomène Alaphilippe » où il perd le maillot Jaune, en 2019, quelques jours avant l’arrivée à Paris. Et ça, se sont des faits de courses qui font rêver le grand public.
Comment expliquez-vous qu’ils n’ont pas encore ce petit truc en plus pour ramener le maillot jaune à Paris ?
Pour avoir connu de l’intérieur le peloton les futurs vainqueurs du Tour, j’ai pu remarquer qu’il fallait un gros mental. Beaucoup de Français perdent leur moyen face à l’importance de l’enjeu. Je pense qu’ils sont mal formatés ou on les voit trop beaux, trop tôt. C’est dès les équipes de jeunes qu’on ne s’y prend pas forcément bien. On leur rabâche trop qu’ils sont les meilleurs, ce qui leur met trop de pression. Il faut être costaud mentalement. Alaphilippe n’est certainement pas le morpho type d’un vainqueur de tour, il ne misera pas sa saison là-dessus car, lui, il peut gagner les classiques. Il n’a donc pas cette pression. Et c’est peut-être grâce à cela qu’il réussit à performer sur le Tour.
La formation à évoluer dans le cyclisme régional et dans la formation vosgienne ?
Dans les Vosges, la formation est toujours la même et je le regrette. Pourtant, je fais partie du comité des Vosges mais je déplore la façon de formater nos futures pépites. Nous sommes dans un département qui végète un peu. Nous ne sommes pas en difficulté mais nous ne sommes pas en avance non-plus.
Que préconiseriez-vous pour faire émerger plus de talents cyclistes dans les Vosges ?
On devrait davantage les suivre et les accompagner, à partir de l’âge de 13-14 ans, avec une sorte d’académie, qui les encadrerait de A à Z. Nous ne sommes pas assez structurés et nous n’avons pas de quoi les accueillir.Il faudrait un vrai centre de formation, à l’image de ce que l’on peut voir au foot, au basket ou au hockey. C’est en faisant ces constats qu’on remarque que le bénévolat est important dans les Vosges, mais il a ses limites.
Dans les Vosges, quels sont les meilleurs espoirs, qui peuvent prétendre à intégrer le peloton mondial un jour ?
Louis Sparfel a un excellent niveau et beaucoup de potentiel. La référence est d’être en équipe de France junior, mais il faut commencer, déjà en junior, à être rigoureux sur le vélo et en dehors. C’est quelque chose qui n’est pas donné à tous. Dans ma carrière, je n’étais pas le meilleur chez les jeunes, pourtant des gars qui me supplantaient n’ont jamais dépassé le cut. Le très haut niveau, tu l’as ou tu ne l’as pas. On l’a vu aussi avec Nacer (Bouhanni, ndlr) qui a beaucoup bossé pour devenir le meilleur.
Et chez les sprinters, la relève est-elle présente derrière Bouhanni et Demarre ?
Je ne sens pas une grosse poussée. Je ne vois pas grand monde. Il y a Hugo Hofstetter (28 ans) qui marche bien aussi. Mais, de vrais sprinters capable de gagner sur les grands Tours, je ne vois personnes derrière Christophe Laporte, Nacer Bouhanni ou Arnaud Démarre. C’est peut-être un passage à vide mais tu regardes sur toutes les générations, on n’en compte pas sur les doigts des mains. Ceux que je mentionne ont encore 3-4 ans et après, il y a quelqu’un qui reprendra le flambeau, j’espère.
Pour revenir sur l’étape vosgienne de vendredi, les favoris vont-ils se dévoiler dans la Planche des Belles-Filles ?
Les potentiels vainqueurs du Tour vont se réveiller dans les Vosges. Pogacar est en forme et va défendre son maillot. J’avais sorti une statistique, il y a quelque temps : celui qui gagne au sommet prend le maillot, ou le conforte. Ça a été le cas 3 fois sur 5 jusqu’à maintenant. On peut dire qu’il y a une bonne odeur de maillot jaune là-haut (rire). Sur la Planche, tu ne gagnes pas le Tour mais tu peux éliminer quelques adversaires au général. Après la Planche, c’est un autre Tour de France qui commence. Le classement général fait disparaître naturellement certains coureurs. On aura une approche du classement final. Pinot maintenant, il est en pleine résurrection, il ne va pas se positionner sur le classement général. Mais il est capable de gagner là-haut. Bardet, lui, jouera le général. Il est français et il s’est fait oublier en ayant rejoint une équipe étrangère. Pourquoi pas ambitionner un podium mais il faudra prendre en considération le Covid, les blessures et les chutes… Et aussi le contre-la-montre plat de 40 km qui arrive… J’ai relevé 8 arrivées au sommet cette année donc c’est un Tour excellent pour les grimpeurs.