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Philippe Olivier : “Les Vosges ont vu naître de nombreux musiciens classiques”

Le 24 septembre 2021 par Solène Gautier
Philippe Olivier
© Pierre-Jérôme Adjedj

Musicologue reconnu et spécialiste de l’opéra, Philippe Olivier, vosgien d’origine, a sorti en mai dernier le livre dialogue « Toccata, Bermuda, Corona » avec le pianiste international français, Simon Ghraichy. Il revient avec nous sur son livre mais aussi sur la vie musicale classique dans les Vosges dans les années 70/80.

En mai dernier vous avez sorti le livre dialogue « Toccata, Bermuda, Corona », co-écrit avec le pianiste mondialement connu, Simon Ghraichy. Comment vous êtes-vous rencontrés et pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre à deux ?

Philippe Olivier – J’ai rencontré Simon en 2016 à l’occasion de ses débuts à la Philharmonie de Berlin, j’avais déjà beaucoup entendu parler de lui. D’abord, car il est exceptionnel. Ce n’est pas tout le monde qui fait ses débuts dans une des plus grandes salles de concert du monde à l’âge de 30 ans. Il avait aussi fait parler de lui lors de la promotion de son premier disque. Son œuvre montre qu’il appartient à une génération de virtuoses, complètement actuelle et décomplexée mais qui se fait aussi beaucoup de soucis pour l’avenir de la musique classique.

Quelle est la signification du titre du livre « Toccata, Bermuda, Corona » ?

P.O. – La « Toccata » est une composition libre et énergique pour les claviers, elle est une démonstration de dextérité de l’interprète. « Bermuda » parce que Simon a, malgré lui, il y a quelques années, suscité ce qu’on appelle dans notre profession le « Bermuda Gate ». Pendant l’été, il avait osé donner un récital en bermuda, ce qui a provoqué un scandale dans la partie conservatrice de la profession. Et « Corona » évidemment pour la crise sanitaire.

Quels sont les messages que vous avez voulu faire passer à travers ce livre et cette discussion ?

P.O. – L’idée originelle du livre est le résultat d’une constatation inquiétante : la crise aujourd’hui traversée par la musique classique, en raison de son inadaptation à la société du 21e siècle. La crise sanitaire a donc été pour nous l’occasion de réfléchir à la question du rôle de la musique classique aujourd’hui et surtout son rôle futur. Cette crise a mis à jour, de façon très nette, un problème qui existait déjà depuis des années. Comment attirer un nouveau public ? Comment concevoir un concert de musique classique aujourd’hui ? Quelles propositions faire en 2020/2021 ? Tous ces éléments se sont accumulés et en a résulté notre travail commun.

Dans le monde de la musique classique, il y a les modernes et les anciens.  Simon fait partie des très modernes et moi, bien qu’ayant bientôt 70 ans, j’ai toujours fait partie des modernes aussi. Une partie des anciens considère que la musique classique doit continuer de fonctionner en vase clos, ces gens considèrent que les jeunes n’ont pas à aller au concert de musique classique par exemple.

Quel est le public que l’on retrouve le plus dans les salles d’opéra françaises ?

La population des salles de concert et d’opéra est caractérisée par un public âgé et blanc dans son immense majorité. Le public est souvent habillé de façon très chic, en smoking pour les hommes et en robe du soir pour les femmes. À titre d’exemple, seulement 2,2 % des Français entre 15 et 18 ans ont vu un concert de musique classique en 2018. On voit par la moyenne d’âge du public et le dress code, qu’on est complètement ailleurs car une partie de la profession musicale française aujourd’hui est affolée par l’évolution du monde et le changement des générations.

Mais c’est une particularité très française. À Berlin, les abonnés de l’orchestre philharmonique ont en moyenne 35 ans et ils vont au concert sans pour autant être en costume ou en robe du soir. En restant sur ces positions, les conservateurs n’ouvrent pas l’accès de ces manifestations à un jeune public. Et il n’y a pourtant aucune raison de les éloigner des concerts de musique classique.

Vous êtes devenu un musicologue reconnu dans toute la profession et spécialiste de l’opéra. Vous avez grandi dans les Vosges, région qui, à l’époque, était plutôt influencée par la pop, le rock et l’univers punk, alors comment avez-vous découvert le monde de l’opéra ?

Je dois avouer que j’ai eu la chance que ma famille m’initie à la musique classique très jeune. J’avais un oncle qui habitait à Mirecourt et il avait pour particularité de se déplacer dans toute l’Europe pour assister à des démonstrations d’opéras ou à de grands concerts. J’ai donc eu l’opportunité de l’accompagner dans toute l’Europe et de rencontrer les plus grands compositeurs européens.

Vous êtes resté dans les Vosges jusqu’au lycée, où avez-vous continué d’initier votre goût pour la musique classique ?

J’ai passé mon adolescence à Épinal. Il y avait déjà un cercle de musique contemporaine où l’on se réunissait pour écouter des enregistrements de grands compositeurs.

En 1971, Le Cercle d’Art Lyrique a vu le jour. Ce club avait et a toujours pour ambition de permettre l’accès des scènes lyriques nationales et internationales au public vosgien qui n’a malheureusement pas accès à des salles d’opéra. Si l’on s’intéressait à l’opéra il fallait aller à Nancy, Strasbourg ou en même en Allemagne. Très vite, Le Cercle a donc commencé à organiser des déplacements. Les membres affrétaient un autobus le week-end et allaient assister à des représentations d’opéra. Il y avait aussi un petit orchestre symphonique départemental, dont j’ai fait partie comme instrumentiste et nous allions donner des concerts à Mirecourt, Remiremont…

“Je dois avouer que j’ai eu la chance que ma famille m’initie à la musique classique très jeune”

Vous avez étudié la musicologie à Strasbourg, vous n’avez écouté que de la musique classique dans votre jeunesse ?

Je n’écoutais rien d’autre que de la musique classique puisque à l’époque, il était extrêmement mal vu de s’intéresser à d’autres types de musique lorsque l’on étudiait la musicologie. Si quelqu’un avait le malheur de dire au conservatoire qu’il allait voir un concert de rock, il allait scandaliser tout le corps enseignant. Mais j’ai compris progressivement que le talent, c’est le talent. Des hommes comme Bernard Lavilliers, ou le défunt Jacques Higelin, sont des artistes qui ont un talent énorme. Que ce soit un violoniste, un Freddy Mercury ou un Jimmy Hendrix, les bêtes de scène restent des bêtes de scène.

Cette distinction existe- t-elle toujours ? Est-ce mal vu d’écouter d’autres genres que la musique classique dans la profession ?

Cette distinction n’existe plus vraiment, aujourd’hui de nombreux compositeurs de musique contemporaine ont commencé leur formation musicale par du jazz ou même du rock. Ils ont commencé très tôt une pratique instrumentale comme la guitare électrique, le clavier ou même la batterie. Cela n’empêche pas ces musiciens d’être aussi bons que ceux qui ont un cursus uniquement classique.

Quels sont donc les grands noms vosgiens de la musique classique ?

­Les Vosges ont vu naître de nombreux musiciens classiques. Épinal en a accueilli un certain nombre qui ont énormément contribué à la formation musicale dans les Vosges. Michel Beroff, le célèbre pianiste, a notamment commencé ses études musicales à Épinal. On peut également parler de Maurice Vichard, un personnage très impressionnant. Il était le célèbre organiste de la basilique Saint-Maurice d’Épinal. Cet homme appartient à la famille de Sébastien Vichard, le jeune trentenaire actuellement pianiste de l’ensemble intercontemporain, une des plus grandes formations internationales pour la musique de chambre.

Philippe Séguin, le maire d’Épinal de 1983 à 1997, a lui aussi énormément contribué à faire parvenir la culture classique dans notre région et à faire venir à Épinal de très grands musiciens comme Pierre Boulez et tout l’orchestre intercontemporain. Les visions de Philippe Séguin en matière de culture et de musique étaient des visions très modernes et à cet égard nous lui devons beaucoup.

Philippe Olivier et Emmanuel Macro à l’Élysée (c) DR

BIO EXPRESS

Nom : Olivier
Prénom : Philippe
Naissance : 22 septembre 1952 à Nomexy

Études :

> Lycée Louis Lapicque d’Épinal
> Étude de musicologie à l’université de Strasbourg

Parcours pro :

> Docteur en histoire (spécialité histoire contemporaine)
> Un des meilleurs connaisseurs de l’histoire musicale allemande
> France Musique
> Orchestre Philharmonique de Strasbourg
> En charge de la culture et de l’enseignement supérieur au cabinet du maire de Strasbourg
> Publication d’une trentaine d’ouvrages tant en France qu’à l’étranger
> Six cents conférences dans près d’une dizaine de pays

Maurice Vichard

Maurice Vichard (c) Vosges TV

Maurice Vichard, figure emblématique de la vie spinalienne, était le célèbre organiste de la basilique Saint-Maurice. À 15 ans, il commence à apprendre l’orgue au côté de son père, René Vichard. Il lui succède en 1948. Le 1er novembre 1972, c’est la consécration pour l’organiste, il donne son premier concert à Notre-Dame de Paris. Son concert d’avant-messe a eu un immense succès ! Le 16 mai 1999, il reçoit la médaille d’honneur des sociétés chorales et musicales par Michel Heinrich, alors maire d’Épinal. Finalement il occupera ce poste pendant 51 ans jusqu’en 1999.

Simon Ghraichy

Simon Ghraichy (c) FB SG

Simon Ghraichy est un pianiste international français. L’artiste a vécu une enfance cosmopolite. Il est né en 1985 d’un père libanais et d’une mère mexicaine. À 16 ans, il rejoint le Conservatoire à Rayonnement Régional de Boulogne-Billancourt. Quelques années plus tard, il intègre le CNSM de Paris en 2004 et l’académie Sibelius d’ Helsinki en 2008. Où il recevra les conseils de maîtres comme ceux du spinalien, Michel Beroff. En 2010, sa carrière prend un essor international notamment grâce à la critique de Robert Hughes, journaliste culturel au Wall Street Journal. En mai 2021, il coécrit un livre avec le musicologue Philippe Olivier « Toccata, Bermuda, Corona ».

Michel Beroff

Michel Beroff (c) jejouedupiano.com

Michel Beroff est un célèbre pianiste français né à Épinal, le 9 mai 1950. Il découvre la musique dans la Cité des Images avec son père et c’est à Nancy qu’il poursuit ses études musicales au conservatoire. Il entre par la suite au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et en obtient le Premier Prix en 1966. Il est décoré Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres le 31 août 2018. Tout au long de sa carrière Michel Beroff a joué avec les orchestres les plus prestigieux et a été maître de grands pianistes, à l’image de Simon Ghraichy.

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