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Les Chuchotantes : la vie des femmes dans les Vosges du XVIIe au XXIe siècle, décryptée par l’auteure Hélène Parisot

Le 15 décembre 2022 par Francoise Fontanelle
Les Chuchotantes : la vie des femmes dans les Vosges du XVIIe au XXIe siècle, décryptée par l'auteure Hélène Parisot
Hélène Parisot, auteure du livre Les Chuchotantes.

Hélène Parisot est Vosgienne. Archiviste, passionnée d’histoire dans son premier roman, Les chuchotantes, elle retrace la vie quotidienne des femmes qui composent sa lignée maternelle et, plus largement, reflètent la condition des femmes dans le milieu rural. Au travers d’une enquête généalogique passionnante et méticuleuse, elle fait surgir « du brouillard du passé » la vie de Jeanne et de ses descendantes : Élisabeth, Catherine, Gertrude,… Quinze destins ordinaires, silencieux et anonymes prennent vie, en creux, à la lumière de l’Histoire, des sciences sociales, de témoignages et d’archives sous la plume de l’auteur. L’occasion de revenir avec elle sur la condition féminine et de découvrir les coutumes et parlers dans les Vosges.

La condition économique des femmes en milieu rural

Le statut des femmes était conditionné par celui de leur père puis de leur époux dont elles partagent le mode de vie. Ces femmes de paysans ou d’artisans ont une vie rythmée par les saisons et les travaux de la terre. Elles sont tout à la fois responsables du foyer et agricultrices car elle travaillent dans les champs où elles secondent leur mari. D’ailleurs elles reprennent leur travail si celui-ci n’est plus en capacité de le faire. Mais, à l’inverse, il était mal vu que le mari fasse des tâches d’une femme ; quand il devenait veuf, il se remariait rapidement après la période de deuil. En fait, le spectre des activités des femmes pouvait s’élargir davantage que celui des hommes, et le fait qu’une femme empiète sur le territoire masculin était finalement accepté lorsque l’homme était défaillant. Il faut également rappeler que le travail féminin complétait les revenus du couple. Bien souvent, ces toutes petites exploitations agricoles étaient insuffisantes pour faire vivre la
famille. Aux XVIIIe et XIXe siècles, dans l’ouest des Vosges, beaucoup d’entrepreneurs déposaient chez les femmes des
tissus avec lesquels elles confectionnaient des chemises et des dentelles par exemple, et qu’ils venaient reprendre quelques jours plus tard. Les fermières vont également vendre au marché les produits de la ferme et de leur basse-cour (souvent le meilleur et l’essentiel de leur production), si bien que l’on garde juste ce qu’il faut pour manger. Pendant très longtemps les exploitations agricoles se limitaient à de la polyculture familiale, le commerce était réduit et ne se développait que lorsque les récoltes étaient bonnes.

La condition d’épouse et de mère

La femme prend en charge l’éducation des jeunes enfants, filles et garçons. À partir de 7 ans, les garçons commencent à suivre le père pour apprendre le métier, tandis que la mère s’occupe des filles, si bien que l’on a affaire à une éducation très genrée. Jusqu’à la Révolution, les enfants ne sont pas scolarisés car l’éducation est payante, mais aussi parce que l’on n’en voit pas l’intérêt : pourquoi savoir lire et compter quand on est un petit paysan et que l’économie de marché se limite à la consommation familiale ? Il était très important que l’ensemble du groupe familial s’investisse et travaille dans la ferme pour que ses membres puissent survivre au quotidien. Les travaux des champs résidaient essentiellement dans des tâches manuelles exécutées avec des outils restés très longtemps rudimentaires  ; c’est pourquoi on avait besoin de la mère de famille et des enfants pour semer, faner et moissonner les quelques parcelles que l’on pouvait avoir. Le lien maternel, du fait de la mortalité infantile*, était très différent d’aujourd’hui, et, au XVIIe et au XVIIIe siècle, la mère ne devait pas trop se projeter dans ce nouvel être.

37EME EXPOSITION 1911 de la Société vosgienne d’art – reconstitution intérieur Lorraincarte postale / photo.Album III

La vie de couple

Le poids des mentalités et de la tradition est très fort. Le mari étant le dominant dans la famille, il ne faut pas remettre en cause publiquement sa position. La femme doit jouer avec ça et s’en accommoder car le respect que la communauté porte au mari, rejaillit sur la femme, qui risque d’être moquée et de voir son couple considéré comme mal assorti si elle le rudoie. Je montre dans mon livre tous les cas de figure : Marguerite-Rose qui totalement dominée par son mari se fait battre et d’autres qui ont su construire des relations égalitaires parce que le couple entretient une relation d’amour ou de confiance mutuelle. On ne peut pas généraliser cette domination. Comme aujourd’hui, les cas de figure étaient très variés et marqués par la domination de l’homme. Bien souvent il s’agissait de couples arrangés. On se rencontrait par l’intermédiaire du cercle familial ou des connaissances proches. On épousait quelqu’un du même niveau social que le sien. Les jeunes, eux-mêmes, avaient intégré ce code et s’orientaient plus ou moins consciemment vers des personnes qui leur ressemblaient et pouvaient potentiellement être acceptées par leurs parents. Ces phénomènes de reproduction sociale sont encore présents aujourd’hui, à la différence que, dans les siècles passés, on ne pouvait pas s’opposer à la volonté des parents.

Le dônage

Courante dans l’Est de la France, cette cérémonie de fausses fiançailles a disparu au début du XXe siècle. Le dônage est une fête organisée pour la jeunesse, qui représentait un groupe important dans chaque communauté villageoise. Il était l’occasion de rencontres directes, mais aussi de se moquer de l’ordre établi et de l’injonction des adultes. Si les jeunes s’amusaient à créer des couples mal assortis, ces cérémonies étaient aussi un prétexte pour favoriser les rencontres, car une fois qu’elle était « donnée » la fille devait inviter son promis dans sa famille, la semaine suivante, pour manger des gaufres. Cette fête faisait le lien avec la fête des Mai, lors de laquelle les garçons allaient déposer des branches en offrande sous la fenêtre d’une jeune fille ; les plus belles ayant des branches fleuries, d’autres des ronces… L’objectif était aussi de créer des couples au sein du village, pour éviter que les filles partent et que la communauté villageoise s’amenuise.

Santé, hygiène et relevailles

L’accouchement et les règles sont des points que je voulais vraiment aborder. Quand on est femme, même au XXIe siècle, ce sont des aspects du quotidien pas toujours faciles à vivre. La mortalité maternelle était extrêmement forte et le risque de perdre sa vie d’autant plus important du fait qu’elles avaient beaucoup d’enfants. Surtout, on vivait dans des conditions d’hygiène que l’on jugerait aujourd’hui déplorables. La notion de propreté n’existant pas, les infections étaient fréquentes et souvent mortelles. Accoucher était vraiment périlleux. Les femmes mouraient souvent jeunes (entre 30 et 40 ans) des suites d’un accouchement, et pouvaient, passé la période de la maternité, espérer atteindre la vieillesse et avoir 60, voire 70 ans. Après l’accouchement, la femme était frappée d’interdit jusqu’à la cérémonie des relevailles : une messe, lors de laquelle la femme voilée et recevait la bénédiction du curé, lui permettant de réintégrer la communauté. Ainsi, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, pendant 30 à 40 jours l’accouchée était considérée comme souillée, impure et frappée de l’interdit de se présenter aux hommes et à Dieu. Ce temps leur permettait aussi de se rétablir de l’accouchement. J’ai eu beaucoup de mal à avoir des informations sur les règles car tout ce qui est lié à l’intimité des femmes n’a pas encore été vraiment étudié par les historiens et les ethnologues. Alors comment faisaient les femmes quand elles avaient leurs règles ? Certes elles avaient quelques serviettes en tissu, mais le plus souvent elles laissaient couler le sang, nettoyant leurs jambes et leur jupon au bout de quelques jours. Cela nous paraît incroyable aujourd’hui et cela montre une société où les notions de propre et de sale étaient très différentes et admises, car les hommes ne reprochaient pas aux femmes d’être souillées.

Les peurs et les superstitions

Pendant des siècles, la foi catholique a été très forte. La vie était rythmée selon le calendrier religieux. Le curé du village était la personne d’autorité et de confiance au sein de la communauté villageoise et la religion une béquille nécessaire pour faire face à la mort, extrêmement présente au quotidien. Savoir qu’il y a une vie après la mort, ça rassure dans cette vie difficile. C’est aussi une religion qui est restée longtemps empreinte de paganisme et de superstition : on croit aux fantômes, aux êtres surnaturels,… Il y a beaucoup de légendes que l’on raconte pendant la veillée et qui se transmettent oralement de génération en génération. Ces superstitions ont commencé à reculer au XIXe siècle, avec le développement de l’éducation, y compris au sein de l’Église.

La scolarisation et le patois vosgien

Le patois était différent selon les villages situés à l’ouest, l’est et dans les Hautes-Vosges. C’était la langue du quotidien jusqu’au XIXe siècle. Les gens comprenaient à peine le français, même s’il est devenu rapidement la langue officielle, y compris lorsque les Vosges étaient dans le duché lorrain. Cela s’explique par le fait que les déplacements étaient très limités ; il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour assister au désenclavement des campagnes avec la construction de routes carrossables et l’arrivée du chemin de fer. L’usage du patois va disparaître peu à peu au moment de la IIIe République avec l’école obligatoire et l’arrivée d’instituteurs qui ont pour consigne de brimer les enfants pour qu’ils ne parlent plus le patois. Au XIXe siècle, tous les enfants, filles et garçons, sont scolarisés, mais le travail de la ferme prime sur le travail scolaire. Jusqu’au début du XXe siècle, à la campagne, les enfants vont à l’école principalement en hiver, les parents les gardant à la ferme à la saison des travaux agricoles.

Les femmes et les guerres

Les femmes étaient totalement passives face à la guerre et la subissaient, se retrouvant démunies lorsque le chef de famille, qui assurait leur protection, était enrôlé. Mais c’est aussi dans ces périodes que l’on constate qu’elles savaient très bien mener la vie et les affaires familiales. L’arrivée de la guerre était une irruption dans un quotidien très routinier et je pense que c’était moins facile pour nos aïeules de s’adapter à de nouvelles conditions de vie, sans compter leur vulnérabilité physique face à l’envahisseur. Dans ce livre, je voulais parler d’un point précis : pendant longtemps, on s’est attaché à glorifier nos ancêtres et à montrer qu’ils ont bien agi pendant les conflits. Mais tout le monde n’a pas résisté à l’ennemi. Toutes les femmes n’ont pas eu des conduites héroïques ; elles ont souvent juste essayé de survivre et de protéger leur famille. À ce titre, elles ont été extrêmement courageuses.

La conquête de l’autonomie

Napoléon a gravé dans le marbre l’obligation d’obéissance de la femme à son époux et il faut attendre le 18 février 1938 pour que cette loi soit abrogée. Pendant tout cette période de l’histoire, les femmes étaient considérées mineures juridiquement et devaient être systématiquement représentées par leur mari pour les actes officiels, sauf si elles étaient veuves. D’ailleurs on a vu des veuves devenir des femmes d’affaires, le veuvage leur permettant de montrer et d’exercer leur talent. Au-delà des grandes dates (1938 avec le droit de vote, puis le droit à l’avortement), j’ai souhaité montrer comment les femmes ordinaires se sont approprié cette autonomie progressive, surtout dans les campagnes, loin des mouvements féministes. Avec, en 1965, la possibilité d’ouvrir un compte en banque, de passer son permis de conduire. Rappelons que, dans les années 1960, les femmes d’agriculteurs n’avaient aucun statut dans l’exploitation : si leur mari mourait, seuls les enfants héritaient. Ce sont tous ces petits évènements, tellement innovants par rapport à leur quotidien, qui leur ont permis de participer au grands mouvements de la société, après la Seconde Guerre mondiale puis, après 1968, en accédant aux études Post-Bac. C’est extrêmement récent. On a l’impression que nos acquis sont immuables, mais tout cela reste encore très fragile.

Les chuchotantes – Histoire d’une lignée de femmes Vosgiennes
Hélène Parisot – Éditions Le Pythagore – Liralest
Octobre 2022 – 22 €

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