Martine Lombard : tour de “passe-passe” dans la vie de cette auteure, française d’adoption

« Passe-Passe » est le premier livre écrit en français par Martine Lombard, une auteure de Strasbourg, chez Médiapop éditions. L’auteure présentera son recueil de nouvelles au sein du Cultura d’Épinal, samedi 23 juillet de 14 h à 18 h. Rencontre avec cette femme passionnante, qui a su s’adapter, lutter et changer de vie en quittant l’ex-Allemagne de l’Est.

Martine Lombard, vous venez de publier votre premier roman en français, « Passe-passe », que vous dédicacerez, ce samedi au magasin Cultura d’Épinal. Pouvez-vous le présenter dans les grandes lignes ?
Martine Lombard – C’est un recueil de 13 textes avec l’idée de « passe-passe », c’est-à-dire de changer de situations, d’être capable de disparaître d’un système en détériorant les choses sans vraiment se soucier des désagréments, tout en réussissant finalement à s’en extraire, par un tour de passe-passe.
Ce sont 13 nouvelles qui se lisent facilement et qui sont un petit peu le reflet des expériences que vous avez pu vivre, puisque les récits se déroulent dans une Allemagne de l’Est déchirée ?
Oui, j’ai puisé dans mon passé, sans m’arrêter à ça. Il y a beaucoup de parallèles entre ma vie passée et celle que l’on vit aujourd’hui. Mais, c’est sûr qu’il y a une base inspirée de ce que j’ai vécu avant que je n’arrive en France, lorsque j’habitais en ex-RDA.
Vous êtes originaires d’ex-RDA puisque vous êtes nées à Dresde. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez fui l’Allemagne pour vous retrouver en France en 1986 ?
Fuir est un grand mot. J’ai surtout voulu échapper à une vie peu confortable. Pour quitter ce pays et son manque de liberté, j’ai accepté un mariage blanc avec un lecteur français. J’ai laissé tout derrière-moi en 1986 et ce changement radical a bousculé ma vie. Je n’étais pas bilingue mais j’avais une bonne base de Français. Je me suis rapidement inscrite à 3 universités et j’ai rejoint l’école d’interprète à Paris. On m’a aidé financièrement mais c’était rude, j’ai vécu dans une chambre de bonne. J’ai dû beaucoup travailler à côté.
Vous étiez bien considérée en France ?
Pas toujours. Comme j’avais tenu à garder mon passeport d’Allemagne de l’Est, pour avoir la possibilité de revenir un jour en tant que citoyenne et non en simple touriste, j’étais assimilé à une espionne, d’autant qu’il y avait eu des attentats auparavant. J’ai fait un stage dans un journal de province et à la fin la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) était là pour savoir pourquoi je n’étais pas déclaré dans cette ville. A chaque fois que je disais que je venais de RDA, il y avait suspicion. Beaucoup de clichés.
Et côté allemand, être en France ne vous a pas posé de problème ?
Si justement, en RDA, il y avait les mêmes soupçons. Je n’ai pas osé y retourner pendant un an, car j’étais soupçonné d’être passeur pour quitter le pays.

Vous avez assisté à la chute du Mur de Berlin ?
Non. C’est d’ailleurs un crève-cœur. J’avais l’impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment car, à ce moment historique, j’étais à Paris. De plus, rien n’a changé radicalement car il y avait cette idée que la RDA soit phagocytée par l’Allemagne de l’Ouest. J’avais des disputes avec mes parents, qui ne comprenaient pas pourquoi je préférais vivre à l’étranger.
Les choses ont évolué aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’y vais assez souvent et je me sens légitime mais il y a un décalage avec les problèmes ressentis. Il y a toujours cette idée qu’à l’Est nous n’avons pas besoin des « donneurs de leçons de l’Ouest ». J’ai l’impression que les plus anciens pensent que leur ennemi, c’est l’état. Le réseau ferroviaire s’est dégradé, par exemple, il n’y a plus de lignes directes pour Dresde.
Vous avez toujours été une amoureuse des mots, même pendant votre jeunesse ?
Oui, c’était un bonheur de découvrir qu’on peut fabriquer des choses avec les mots. J’avais 14-15 ans, j’ai gagné un concours à Dresde et j’ai été au « cercle d’ouvriers écrivains » de la ville. Mais la dénomination m’a effrayé et je n’y suis pas allé. Après réflexion, j’aurais peut-être dû car c’était une niche de découvertes de talents. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai poursuivi l’écriture mais je n’arrivais plus à écrire sur ce qu’il se passait et j’ai préféré me concentrer sur mes études et passer mes diplômes.
Parallèlement à cette passion pour l’écriture, vous devenez interprète pour la Commission européenne, à Bruxelles ?
Oui, mais c’est à ce moment-là, en me rapprochant de l’Allemagne, que j’ai décidé de prendre des conseils auprès d’auteurs et de cercles d’écriture allemands. Quand je suis arrivée à Strasbourg, je me suis davantage reconnectée avec des gens qui écrivent et je me suis dit qu’il était dommage de n’écrire qu’en allemand. C’est à ce moment que j’ai voulu écrire en français, aussi.
Vous n’osiez pas ?
Pas vraiment, je n’arrivais pas à me lancer directement en français. Il fallait d’abord écrire dans ma langue maternelle, puis traduire littéralement. Seulement, au fur et à mesure, j’ai remarqué que je ne traduisais pas naturellement mes textes, mais que je les adaptais à la langue. C’était donc une réécriture déjà, donc la traduction n’avait plus de sens.
Le français vous permet-il d’écrire différemment ?
Je continue à prendre le français comme langue étrangère mais il y a un côté libératoire à écrire en français donc c’est peut-être plus facile à d’écrire dans ma langue d’adoption. Par moment, j’ai l’impression de me dévoiler plus facilement à cœur ouvert. La France me permet de m’épanouir plus. Quand je vais en Allemagne, près de Francfort, pour discuter mes textes, il faut que je sois plus précise avec mes personnages et dans les lieux et situations, contrairement aux groupes de lecture en France.
Pour conclure, un mot sur la Une du livre. Que représente cette photo ?
C’est moi avec une amie, dans un camp d’entraînement paramilitaire, qui était obligatoire pour les étudiantes et long de 5 semaines, dans des baraquements à 16. Les hommes, eux, partaient à l’armée. On était jour et nuit ensemble. On était obligé de se révéler, sans carapaces. Aujourd’hui, j’ai encore des liens avec elle. Elle vit en Suisse. Je lui ai demandé l’autorisation pour utiliser cette photo pour illustrer mon livre et elle m’a confié que c’est un honneur pour elle.

Synopsis du livre “Passe-passe” :
Quitter son pays. En découvrir un autre. Rêver. S’adapter. Lutter. Changer. Se souvenir. Revivre. Transmettre. Avancer… Les personnages des treize nouvelles de ce recueil arrivent à un tournant de leur vie. Jeunes femmes qui fuient l’Allemagne de l’Est, pères de famille en perdition, cadre commercial en plein burn out, mère modèle qui dérape, adolescente dans un camp d’entraînement… Ces histoires nous font partager leurs pensées les plus intimes, leurs doutes, leurs espoirs avec tendresse, malice et humanité.
Originaire de Dresde, Martine Lombard a étudié à Berlin-Est et travaillé dans l’édition à Leipzig, avant de quitter la RDA en 1986. Après Paris et Bruxelles, elle vit aujourd’hui à Strasbourg. Sa vie professionnelle se partage entre la chaîne Arte, son activité d’interprète et l’écriture. Son premier roman est paru en Allemagne en 2019 (non traduit en France).
Martine Lombard en dédicaces
Samedi 23 juillet, de 14 h à 18 h
Cultura Épinal, ZAC des Terres St-Jean
http://martine-lombard.com/