Accueil > Culture > Livre - musique > Hervé Boyer : La chasse aux fous

Hervé Boyer : La chasse aux fous

Le 13 mars 2015 par Bruno Veillon

Dans ” Chasseurs de fous “, Hervé Boyer puise dans son vécu professionnel la matière à nourrir l’imagination. À se demander parfois si la narration est vraiment de la fiction.

On peut embrasser une profession par hasard et, de retour d’un service militaire comme pompier à Tahiti et ” sans avenir à Marseille “, passer un concours d’infirmier psychiatrique à Ravenel (Mirecourt), sur recommandation de sa tante, le réussir et s’y investir. Pour devenir, ce qu’Hervé Boyer est aujourd’hui : cadre de santé d’un dispositif gérontopsychiatrique dans les Vosges.

Mais ” il n’y a jamais de hasard “, glisse ce dernier, dans un sourire. En 33 ans d’un métier passionnant pour ” les rapports entre psychiatrie et philosophie “, mais dur, ” car il faut se coltiner la folie au quotidien “, le professionnel a pu mesurer les évolutions de la prise en charge, ses basculements aussi, contre nature parfois pour l’humaniste qu’il est.

Une extension phénoménale
de la notion de pathologie mentale

La psychiatrie asilaire d’abord, puis le temps de l’ouverture, suivi d’une législation moins excitante, sortie tout droit de l’arsenal américain et libéral : ” L’entrée du discours de l’entreprise à l’hôpital ” en 2009 avec la Loi HPST, comme Hôpital Patient Santé territoire, dite Loi Bachelot. Ou encore le DSM 5, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, né de l’Association Américaine de Psychiatrie et véhiculé dans le monde entier, avec ses classifications arbitraires et ” une extension phénoménale de la notion de pathologie mentale ” qui vous juge comme fou, pour ” une tristesse un peu trop longue après le décès d’un proche ” ou une hyperactivité enfantine.

Exemples parmi d’autres d’une ouverture du champ de la folie qui a son corollaire : ” Engraisser les laboratoires fournisseurs de pilules “, entre autres. Rien n’est jamais innocent, c’est vrai. Comme ne l’a pas été, pour Hervé Boyer, la réforme de l’hospitalisation sous contrainte et ses contrats de soins qui mettent à mal ” une liberté fondamentale, celle du refus de soins “.

Exit les structures de soins trop coûteuses !

Un ” temps de bascule ” comme les précédents qui, pour lui, fut le déclic de l’écriture d’un premier roman d’anticipation paru récemment chez La Bruyère sous le titre Chasseurs de fous. L’histoire ? Un État totalitaire considère les fous comme des sous-hommes qu’il convient d’arrêter, d’enfermer, d’éliminer. Exit les structures de soins trop coûteuses. Bienvenue aux brigades de chasseurs de fous.

Est fou en fait dans cette société sans âge, sans repaire temporel ou géographique – ce qui rend au passage le propos encore plus universel – est donc fou ” tout être n’entrant pas dans le moule défini par l’État “. Dans cette logique radicale, ” poète, saltimbanque, artiste, tout le monde peut l’être “, résume Hervé Boyer qui, en une écriture éclairante, va justement réconcilier Arthur (l’artiste) et Fanny (cadre chasseur de fous).

” Il faut être deux pour négocier “

Un poème donne le ton. La suite s’impose au nom de l’amour, de la fraternité et de la résistance. La brutalité d’État appelle-t-elle en réponse la violence, voire la lutte armée ? La question n’est pas nouvelle. Nombre de sociétés sur la planète y ont été confrontées. Elle n’est en rien occultée. ” Pour négocier, encore faut-il être deux, et d’abord être d’accord sur le principe même de négocier “, glisse à ce sujet Hervé Boyer qui n’évacue pas le questionnement éthique, en inscrivant de toute façon le propos dans une réflexion citoyenne qui aboutira à une Constituante, une fois la dictature déchue.

Alors happy end ? Momentanément a priori, car cette première oeuvre s’inscrit dans une trilogie qui pourrait être moins rose. N’anticipons pas pour autant ! Pour l’heure, Hervé Boyer vit une respiration. L’écriture lui a permis de poser les mots, d’ouvrir aussi le débat en une fiction qui ” permet plus de liberté d’écriture “. ” J’aime beaucoup le roman d’anticipation, car cela tire aussi une sonnette d’alarme… “. Message reçu, et désormais ” tracé “.

Chasseurs de fous d’Hervé Boyer
Éditions La Bruyère
96 pages – 15 euros

Menu
logo facebook logo instagram logo twitter logo linkedin