Antonia De Rendinger, en spectacle à Châtenois le 17 janvier : « C’est difficile de rester punk dans sa tête »
Antonia de Rendinger sera à Châtenois début 2026 pour présenter son quatrième spectacle, Scènes de corps et d’esprit. À cinquante ans, l’humoriste alsacienne, passée par la télé, la radio et le cinéma, joue le choc des générations. L’occasion de revenir sur la place qu’elle a acquise dans le milieu humoristique français, l’évolution de celui-ci et sa manière de voir son métier et de l’exercer demain.
Scènes de corps et d’esprit est présenté comme un spectacle qui joue du décalage entre les générations. Comment est-il né ?
À chaque fois que j’écris un nouveau spectacle, les thématiques s’imposent plus ou moins à moi en fonction de la femme que je suis devenue. Aujourd’hui, mes filles ont dix-huit et dix-neuf ans, et j’arrive à un âge où je commence à camper sur des certitudes. Je crois que la cinquantaine marque un tournant dans l’existence où on bascule un peu du côté obscur de la Force. C’est difficile de rester punk dans sa tête. Ce spectacle, c’est aussi ma façon à moi de lutter contre le « c’était mieux avant ». Il faut arriver à se questionner en tant qu’adulte, en tant que parent… de faire preuve de bienveillance vis- à-vis de cette nouvelle génération… qui, de toute façon, va nous remplacer. C’est difficile de faire la place aux idées neuves quand on a l’impression de détenir la vérité. Ce spectacle incarne un peu toutes ces réflexions, avec un côté rassembleur. Quelqu’un comme Vérino a ce talent-là dans le stand-up : dire les choses avec bienveillance et autodérision.
Comment vous situez-vous sur ce grand échiquier qu’est la scène comique française ?
Je pense qu’il y a, aujourd’hui, deux familles : celle de la gaîté et de la légèreté, et celle du propos intense, un peu cynique, très en- gagée. Moi, je vis mon engagement un peudifféremment. Je pars du principe que les gens qui viennent me voir veulent ressortir plus joyeux, plus légers, rire de manière un peu libératrice. C’est comme cela que je fonctionne.
On vous dit un peu à contresens de certains de vos camarades, avec une culture de l’art du sketch qui met en scène des personnages plutôt que vous-même. Pourquoi avoir fait ce choix ?
J’ai commencé par faire de l’improvisation, où on nous apprend beaucoup à incarner des situations, des personnages. C’est un peu un poncif de le dire aujourd’hui, mais j’ai été biberonnée à Muriel Robin, Sylvie Joly… J’aime énormément cette idée de faire un peu de sociologie sur scène. J’en ai fait mes études, et mes spectacles le répercutent. Je ne fais pas de critique de la société, je m’inclus complètement dans mes personnages. Je pense que chacun d’eux me permet d’exorciser des traits sombres de ma personnalité.
Vous avez la particularité d’écrire vos seuls en scène, en plus de les incarner. Comment a évolué votre méthode d’écriture ?
Mon premier spectacle (Itinéraire d’une enfant ratée, 2003), je l’ai écrit sur un bureau, devant un ordinateur. L’accouchement a été extrêmement difficile : ce n’était pas du tout la façon dont mon cerveau travaillait. J’ai besoin d’être face à un public, de ressentir une espèce d’urgence du rire qui valide l’efficacité de ce que je suis en train de faire. C’est complètement hérité de l’impro. Je convoque un public pour une poignée de représentations et je vais improviser en solo, sous la houlette d’un maître de jeu qui va me mettre en difficulté, me surprendre… pour me permettre de rebondir. Je filme tout et c’est à partir de cette matière que j’extrais des thématiques pour écrire un show que je vais rôder quelque temps pour trouver la bonne rythmique. C’est comme ça qu’un spectacle trouve une forme de maturité et, en même temps, il n’est jamais complètement terminé.

Donc, Scènes de corps et d’esprit continue d’évoluer ?
Tout le temps ! La preuve, on vient parfois me voir en me disant que j’ai rajouté tel ou tel sketch. Pourtant, il était bien présent. C’est juste qu’il n’était pas complètement abouti. J’ai besoin de cette évolution, que le spectacle soit constamment vivant. Le public ne s’en rend pas compte, mais il construit le spectacle avec moi. C’est aussi l’avantage d’être l’auteure de ses propres sketchs. Je ne cherche pas la précision comme certains humoristes. L’accident, c’est quelque chose de pré- cieux. Un one woman show, c’est entre la cuisine et l’épreuve sportive. À chaque fois que je monte sur scène, j’ai l’impres- sion de faire un match !
Comment abordez-vous chaque représentation ?
J’ai un petit rituel très ordinaire : je me maquille, pratiquement jusqu’à la dernière minute. J’ai ce sentiment qu’un peu plus de mascara va apporter davantage au personnage, renforcer ma concentration. Et derrière le rideau, je sautille comme une boxeuse, avant d’entrer sur un ring. J’écoute toujours la salle : une salle qui parle fort, c’est un très bon signe. Ce sont des gens qui communiquent autour d’eux. C’est comme ça que dès les premières secondes, je sais si le match va être gagné ou pas. Et, à chaque fois, j’ai la baraka quand je joue dans l’Est. Les gens du coin m’ont vu évoluer, arriver dans On ne demande qu’à en rire, avec un Laurent Ruquier qui me présentait à chaque fois comme « l’Alsacienne »… D’ailleurs, j’habite toujours à Strasbourg et si je devais en partir, ça ne serait pas pour m’installer à Paris… ça c’est une certitude.
Vous avez commencé l’impro en 1993, vous aviez déjà monté pas mal de spectacles quand vous débarquez chez Ruquier en 2012. Pourquoi y êtes-vous allée ?
J’attendais surtout de pouvoir continuer à faire mon métier. Quand On ne demande qu’à en rire est arrivée, 100 % de la programmation de 100 % des cafés-théâtres de France étaient constitués de participants du programme. Quand vous ouvriez les programmes à l’époque, c’était Nicole Ferroni, Jérémie Ferrari, Florent Peyre, Arnaud Tsamère… Tous ces gens venaient de là. Et les salles prenaient leurs spectacles sans les avoir vus. À l’époque, ce n’était presque pas une option de faire cette émission. Je l’ai fait, alors que je ne cautionnais pas le concept : je détestais l’idée de me faire juger de la sorte. Mais j’ai eu la chance que ça fonctionne très bien. Au prix d’un travail de maboule, j’ai fait ma place dans le paysage humoristique français en quelques mois.
Aujourd’hui, les nouveaux venus ex- plosent grâce aux réseaux sociaux.
Le Covid a rebattu les cartes et a permis à plein de gens de percer. Moi, je suis un dinosaure. Vous ne me verrez jamais utiliser l’Intelligence Artificielle. Je vais même de moins en moins sur Instagram parce que je ne sais plus croire les images et que je ne supporte pas l’idée d’avoir devant moi quelque chose qui a été généré par un robot. Peut-être que ma manière de fonctionner va crever comme les dinosaures ! Mais mon père était architecte, j’ai cette foi en l’artisanat. J’ai été biberonnée à Barjavel : je suis convaincue que ce monde va revenir aux gestes d’antan. On redeviendra tous des singes, et c’est presque le pire que je nous souhaite !
Vous êtes aussi l’auteure de spectacles pour vos camarades. Qu’est- ce que ça change d’écrire pour d’autres ?
Je n’écris jamais totalement pour les autres sans eux. J’écris avec eux. Je pars du principe qu’il ne faut jamais prononcer des mots qui ne viennent pas un minimum de soi. J’aime bien l’idée de la maïeutique, de travailler ensemble, pour se faire rire ensemble.
Vous avez dit que chaque spectacle ressemblait à la personne que vous étiez au moment de son écriture. Qu’en est-il du prochain ?
Je n’écris rien pour l’instant, parce qu’on me propose de plus en plus de projets de fictions et qu’un agenda trop plein fait peur aux producteurs ! Mais, si j’écrivais un nouveau spectacle demain, je crois que j’aurais envie de former un duo. Je n’ai plus envie d’être seule sur scène, mais de la partager avec d’autres. Quand on est plusieurs à jouer, on est plusieurs à partager cette énergie que le public nous donne. On recharge la batterie dans le regard de nos partenaires. Je vais peut-être bientôt jouer dans une pièce écrite par d’autres, avec des amis. C’est très apaisant de s’imaginer dans un projet que l’on n’a pas à écrire ou à mettre en scène. Mon vœu le plus cher serait de jouer dans un Feydeau. Aujourd’hui, je veux de plus en plus me faire guider par mes envies. Je le dis, mon rêve, c’est d’être Jacqueline Maillan !

Antonia de Rendinger. Scènes de Corps et d’Esprit.
One woman show. 1 h 30. Le 17 janvier à 20 h 30
à La Scène (Châtenois). Tarifs : de 8€ à 15€
À partir de 12 ans.
Billetterie : letraitdunion-lascene.mapado.com et ON SE CAPTE
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