La liberté d’expression made in USA
L’actualité du « Pays de la liberté » a de quoi désarçonner. Pas facile pour nous, issus d’un pays où la liberté d’expression est un principe fondamental du droit fortement encadré par la loi, de comprendre ce qui se passe aux États-Unis, seul pays au monde où ce n’est pas le cas. Voici quelques réflexions.
En 1791, le Premier amendement de la Constitution américaine interdit explicitement aux autorités fédérales de limiter la liberté d’expression, ainsi que la liberté de la presse et la liberté de culte, afin de protéger les citoyens d’une éventuelle mainmise par une minorité de dirigeants sur le discours politique. Ainsi, apparentée au libéralisme économique, la sphère des idées et des croyances échappe à toute censure. Tout comme le profit est moteur de progrès, on pense que de la diversité des opinions naîtront les meilleures idées et la vérité.
Alors, qui pose les limites ?
Jusqu’à présent, c’est la société civile, soutenue par quelques têtes d’affiche hollywoodiennes, qui s’insurge contre les abus, les injustices, les violences impunies et les discours racistes, sexistes et transphobes, et (comme on l’a vu récemment) contre le caractère omnipotent du pouvoir présidentiel. Car cet automne, le président américain s’est publiquement arrogé le droit de museler la presse en exigeant le licenciement d’un présentateur vedette. Idem sur les réseaux sociaux où il appelle les Américains à dénoncer les anti MAGA, et les employeurs à les licencier sur-le-champ. Le glissement sémantique entre liberté d’expression et liberté d’opinion est avéré. Dans des sociétés sans filtre où tout est numérique, le discernement fléchit sous la pression des processus d’intimidation. Aux États-Unis, les réseaux sociaux, sont un espace de non-droit où aucun modérateur ne peut être mis en place ; même pour protéger la jeunesse. Déjà, en 1997 la Cour suprême s’était exprimée contre le « Communications Decency Act » voté un an avant. Elle avait jugé les mesures de protection contre la pornographie en ligne partiellement inconstitutionnelles et avait annulé la mise en place des dispositions anti-indécence sur Internet.
« Bullshit toi-même ! »
Rien d’étonnant que les défenseurs du Premier amendement soient les magnas du numérique, ceux-là mêmes qui se font une joie de réintégrer les comptes bannis au nom de la liberté d’expression. Dans la même veine, le locataire de la maison blanche a signé « un décret définissant la cession des activités américaines de TikTok (dont le service d’hébergement est soumis à une interdiction nationale depuis le 19 janvier 2025. NDLR) à plusieurs de ses riches soutiens, tandis que la maison mère de la plateforme chinoise ne conservera qu’une participation minoritaire.* »
Pas surprenant non plus de voir les portes du bureau de presse de la Maison-Blanche s’ouvrir aux « nouveaux médias », et aux influenceurs, au détriment des journalistes accrédités pour « protéger des informations sensibles » (dixit l’équipe de communication de ladite Maison-Blanche). Les films emblématiques sur l’idéal de justice américain tels Pen- tagone Papers, Les Hommes du président, L’enquête, Truth, Le Prix de la vérité, seront-ils bientôt censurés ?