Pollution des eaux : un paradoxe nommé Bouzey

Le lac de Bouzey cultive le paradoxe. Artificiel, il joue depuis toujours la carte nature, pêche et baignade. Pourtant ces dernières années, la biodiversité y a laissé quelques plumes. Petit tour d’horizon.
” Un paradoxe nommé Bouzey “, voici ce qui annonce au promeneur l’un des panneaux ponctuant la balade autour du réservoir artificiel. Un réservoir situé aux portes d’Épinal, alimentant le canal des Vosges, et ayant renforcé ces dernières années sa vocation touristique.
Qu’en est-il de ce paradoxe mis en avant fort pédagogiquement par les initiateurs de ce Bouzey new look ? L’idée est généreuse, en tout cas source de découverte et d’enchantement.
Et le message clair, démontrant ” comment ce lieu artificiel à la base a permis le développement d’un écosystème remarquable “. Sont cités une grande variété d’espèces végétales et animales, allant de l’iris faux-acore au potamot, du rat musqué à l’anodonte, sans oublier la frayère de brochets Esox Lucius, la pouponnière flottante du canard colvert.
Créé par l’homme, ce ” havre de plumes ” revendique sa fonction hautement naturelle. Vol d’oies sauvages en migration, berges boisées, ballet nautique du grèbe huppé Tous ces mouvements semblent participer d’une biodiversité en action, voire en harmonie.
En fait, le paradoxe énoncé publiquement pourrait en cacher un autre. Car ces dernières années, la biodiversité a, semble-t-il, laissé des plumes à Bouzey.
” Pratiquant ” et appréciant le plan d’eau dès 1972, entre pêche et fêtes, Jean-Claude Claudel y a même pris racine et maison il y a 26 ans. Observateur attentif plus de 40 ans durant, il en mesure aujourd’hui les mutations quant au voisinage floral et faunistique. Des herbes lacustres ont remplacé les nénuphars et les roseaux d’antan, créant une autre ambiance paysagère. Exit les fraies de grenouilles, en nombre hier.
” Depuis dix ans, on n’entend plus leur coassement. Il y a, il est vrai, beaucoup moins d’insectes. ” Disparues ou presque les friganes, ces larves appelées aussi porte-bois ou traîne bûche, qui nourrissaient les amphibiens. Idem pour les larves d’éphémères, voire les orvets, ou encore les gammares, ces petits crustacés vivant en eau douce, et véritables indice de la qualité de l’eau.
Les libellules ont, elles aussi, déserté les lieux. Comme les tortues ! ” Une autre disparition m’inquiète, celle des sauterelles, et ce en peu d’années, 5 à 6 ans “, poursuit Jean-Claude Claudel. ” C’était un chant agréable. ” La faune aquatique en pâtit visiblement. ” On ne voit quasiment plus d’anguilles et de lottes d’eau douce, alors qu’on en pêchait volontiers il y a 30 ans “.
” Bouzey n’a plus la même vie animale qu’avant. Dommage que l’on ait perdu cette biodiversité “, témoigne le riverain qui regrette ” le fil noir d’hirondelles devenu un souvenir ” et note surtout ” la diminution de la présence de plancton animal et végétal “. Conséquence : ” Le plus surprenant aujourd’hui, c’est cette eau claire toute l’année “. De quoi reprendre à son compte la formule d’un président de société de pêche, voulant que ” Bouzey fonctionne comme une machine à laver, mais en lavant l’eau ” !
” C’est grave, poursuit Jean-Claude Claudel. Certains produits rendent l’eau claire, détruisant les capacités à créer cette micro vie végétale et animale utile dans la chaîne alimentaire. Un maillon en est brisé “.
En cause ? Sans doute les produits de vaisselle, les détergents, les médicaments. Si les stations d’épuration ne manquent pas sur le parcours d’une eau venue du massif vosgien, cette dernière n’est plus en capacité de jouer le rôle d’hier. Or, ” toutes les larves naissent de l’eau “.
Les récents aménagements du site n’en sont pas la cause, même si l’urbanisation, remplaçant les wagons d’hier, génère des pollutions, en dépit des investissements publics rendant le réseau d’assainissement accessible à tous.
” Beaucoup de maisons ne sont pas raccordées aux égouts. Il n’y a pas assez de contrôle “. Autre nuisance, l’agriculture intensive avoisinant le site. Ayant détruit de nombreuses haies, elles aussi sources de biodiversité, elle est surtout porteuse de pollution.
” Quand il pleut, tout cela va dans le lac. Si les hommes bricolaient moins la nature, ça irait mieux “, conclut Jean-Claude Claudel qui se rassure en observant ” le retour des belettes, des écureuils et l’étonnante résistance du hérisson ” ainsi que la belle vie qui s’anime autour des roseaux, nénuphars et iris de sa mare familiale où une grenouille joue volontiers à cache-cache. Le début miniature d’une renaissance plus large.
Un site renouvelé
Aménagé au début des années 1880, sur 140 hectares, d’une profondeur maximale de 20 mètres, d’un volume de 7 100 000 m3 à pleine capacité, le lac de Bouzey s’impose plus que jamais comme un lieu de détente.
Séduisant aux origines les pêcheurs locaux et les populations ouvrières de Mirecourt et Épinal qui y passaient volontiers week-ends ou vacances, le site a depuis ouvert ses horizons touristiques. Outre les Vosgiens fidèles, des étrangers viennent taquiner la carpe. Ses rives restent festives.
Le lac s’impose plus que jamais comme lieu de balade, et de loisirs, depuis les aménagements récents opérés par la communauté de communes du Pays d’Olima et du Val d’Avières, puis l’Agglomération d’Epinal : un sentier accessible à tous, des pontons handi-pêche, des espaces de jeux pour enfants, une station VTT, les plages bien sûr.
À en faire perdre leur latin paysager aux GI’s d’après-guerre qui avaient aménagé ici une plage des Américains, pionnière en son temps.