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Vosgelis se développe dans le Bas-Rhin, une stratégie expliquée par Fabrice Barbe, directeur général

Le 27 mars 2024 par Francoise Fontanelle
Fabrice Barbe, directeur général
© Vosgelis

Pour renouer avec la croissance patrimoniale et assurer, en retour, une performance d’exploitation satisfaisante pour un territoire d’origine qui offre désormais peu de possibilités de développement, Vosgelis a fait le choix de se déployer sur un territoire en tension. Conjoncture, choix stratégiques, risques, le point sur cette stratégie qui s’avère gagnant/gagnant avec Fabrice Barbe, directeur général.

De quand date la volonté de Vosgelis de se développer sur d’autres territoires ?

Je ne suis pas à l’origine de cette stratégie. Lorsque j’arrive chez Vosgelis en 2019, c’est déjà un sujet. Auparavant, les tentatives de fusions avec Val d’Argent Habitat, dans le Haut-Rhin, avaient échoué. À l’époque, le parc de Vosgelis compte environ 16 400 logements, contre 18 000 dans les années 1980. En tant qu’organisme de logement social, nous avons l’obligation de mettre en place des plans stratégiques de patrimoine (PSP) avec une projection sur 15 ans. Or, le PSP de l’époque fait le constat que Vosgelis passera, en 2030, sous la barre des 16 000 logements gérés.

Cela signifie que le besoin de logements sociaux est moindre dans les Vosges. Pourquoi ?

Simplement parce que la baisse du nombre d’habitants dans les Vosges est une tendance lourde, qui s’accentue lorsque l’on se réfère aux prévisions de l’Insee.

D’une part, moins il y a d’habitants, moins le besoin de logements est important. Et aujourd’hui, l’organisme Vosgelis vend et démolit plus qu’il ne construit. D’autre part, moins on a de logements, moins Vosgelis génère de quittances de loyer, donc de chiffre d’affaires. Une alternative serait d’augmenter les loyers de façon à regagner en valeur, la perte de volume quittancé en loyer. Ce qui n’est pas possible si l’on considère le pouvoir d’achat de la population qui vit dans le département.

D’ailleurs, sur les deux dernières années, Vosgelis a fait l’effort de limiter l’augmentation de ses loyers par rapport à ce qu’elle aurait dû et de financer les réhabilitations sur ses fonds propres, pas sur les loyers.

Vous n’avez pas, non plus, souhaité réduire les investissements…

Nous aurions pu, effectivement, décider de faire des économies par ailleurs, comme sur la maintenance des logements… Le niveau d’entretien que Vosgelis s’est fixé a très fortement augmenté ces cinq dernières années : il représentait 18 millions d’euros en 2018, contre 50 millions en 2023. Par exemple, Wahou, un standard de qualité de remise en état des logements nous permet d’avoir un taux de vacance très faible (inférieur à 1 %).

Nous avons aussi investi pour financer un bouquet de services conséquent à destination des locataires, comme l’aide aux devoirs en ligne gratuite. Pour favoriser le maintien à domicile des seniors, nous avons accéléré l’adaptation des logements (nous avions posé 64 douches adaptées en 2018, 600 en 2023) et proposer l’habitat inclusif. Mais, là aussi, il n’est pas question d’en faire porter le coût aux locataires.

Pour maintenir notre niveau de maintenance du parc dans les Vosges et ne pas augmenter les loyers, il fallait trouver d’autres solutions. Nous développer à l’extérieur du département, s’est donc imposé à nous.

Pourquoi vous êtes-vous tournés spécifiquement vers l’Alsace et non vers la Lorraine ?

Selon l’Insee, les prévisions à l’horizon 2070 en Lorraine ne sont pas bonnes. Le département des Vosges perdrait 100 000 habitants, la situation est pire dans la Meuse. Si la baisse serait moindre, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle sont également en décroissance démographique. En revanche le département du Bas-Rhin sort du lot avec une croissance démographique forte, engendrant une tension importante dans le secteur du logement.

Les prévisions de l’Insee sur la région Grand Est en tête, j’ai donc décidé de prendre mon bâton de pèlerin et de rencontrer les élus, les bailleurs sociaux et les promoteurs alsaciens. Dans un premier temps, nous créons Estoria (voir Debrief -mars 2021) une société de coordination, en nous associant à Sedes Habitat qui a un parc de 1 800 logements sociaux sur Strasbourg.

Grâce à ce premier ancrage nous avons réalisé une première opération de 45 logements à Saverne en qualité de nu-propriétaire. Inscrite dans notre patrimoine, celle-ci permet à Vosgelis d’afficher une légère augmentation pour 2023, année où nous aurions dû en perdre sur les Vosges, puisque 31 logements avaient été vendus et 18 mis en service à Thaon-les-Vosges.

J’identifie également une piste de 22 logements à Haguenau et 42 à Wissembourg, ce qui nous incite à faire un nouveau plan stratégique patrimonial afin d’intégrer le développement alsacien et l’objectif de faire entrer 150 nouveaux logements par an dans le patrimoine de Vosgelis, gérés par Sedes Habitat.

Nous sommes début 2022, l’Agence nationale de contrôle du logement social (l’Ancols*), l’organisme qui contrôle le logement social en France, nous confirme que notre stratégie est la bonne et nous incite à poursuivre notre stratégie en Alsace. Cependant, elle trouve notre projet de 150 logements ambitieux et nous conseille de le revoir à hauteur de 100 logements par an. Nous révisons donc notre plan.

C’est juste avant la crise immobilière de 2022… Comment avez-vous, dans ce contexte, réussi à poursuivre ce développement stratégique ?

Ça a été une véritable déflagration. La tension était déjà très forte dans le Bas-Rhin, avec un besoin annuel de 1 600 logements neuf par an que les bailleurs alsaciens n’avaient pas la capacité de financer. En comparaison, dans les Vosges, le nombre de logements neufs attribué par l’État est de 50 en moyenne.

Quand j’ai rencontré les élus, les bailleurs et les promoteurs alsaciens, en 2021, j’ai été bien accueilli. Ils voyaient en Vosgelis, non un concurrent mais un partenaire, y compris sur l’Eurométropole de Strasbourg. Un an plus tard, le marché s’est effondré. Les promoteurs m’appelaient tous les deux jours, m’informant qu’ils n’arrivaient plus à commercialiser les opérations prévues pour les particuliers et souhaitaient me les proposer dans leur totalité.

Nous avons étudié l’équilibre financier de chaque proposition, leur situation et leurs qualités techniques avant de faire une proposition de prix. Ces ventes ont permis aux promoteurs de faire face à la crise et de conserver leur structure, mais aussi de sauver, selon la fédération des promoteurs du Bas-Rhin, 1 000 emplois en maintenant les projets de construction.

* Depuis sa création par la loi, le 1er janvier 2015, l’Ancols est chargée d’une mission de contrôle et d’évaluation relative au logement social et à la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC). Cet établissement public administratif de l’État est placé sous la double tutelle des ministres chargés du logement et de l’économie.

Pour maintenir notre niveau de maintenance du parc dans les Vosges et ne pas augmenter les loyers, il fallait trouver d’autres solutions. Nous développer à l’extérieur du département, s’est donc imposé à nous.

Fabrice Barbe, directeur général de Vosgelis
  • Vosges


50 opportunités de construction de logements sociaux par an dont 30 attribuées à Vosgelis

  • Projets de reconversion (EPFGE)


113 logements

  • Bas-Rhin


1 600 opportunités de construction de logements sociaux par an dont 100 attribuées à Vosgelis

475 logements sociaux dont 400 en 2023 crées dans le Bas-Rhin par Vosgelis. Source : Vosgelis

Comment financez-vous ces opérations en Alsace ? Et sont-elles plus rentables ?

Réalisée en Alsace, une opération est rentable au bout de cinq ans. Dans les Vosges, lorsque nous empruntons, il faut attendre plus de 30 ans avant qu’elle ne rapporte. Comme Vosgelis n’avait pas l’obligation de construire beaucoup de nouveaux logements et avait eu une politique plus mesurée en termes d’investissement et de maintenance par le passé, son niveau d’endettement était très faible. Par exemple, pour un parc de 16 400 logements Vosgelis a aujourd’hui 190 millions d’euros de dettes. Moselis et MMH (Meurthe-et-Moselle Habitat), qui gèrent respectivement autour de 14 000 logements, ont chacun 400 millions de dettes. Ophéa (le bailleur social de l’Eurométropole de Strasbourg) cumule 600 millions d’euros de dette pour 20 000 logements.

La solution était donc de mobiliser les fonds propres de Vosgelis ?

En mettant 30 % de fonds propres dans ces opérations et en conservant un endettement très mesuré, cette stratégie nous donnait la possibilité, même si les taux étaient encore élevés, d’arriver à un prix d’équilibre. Certes, en prenant sur notre épargne, nous avons fait baisser notre trésorerie, mais ces opérations étant rentables, elle sera très vite reconstituée.

En fait, la où Vosgelis avait une gestion stock, nous avons désormais créé un circuit qui lui permet d’avoir une gestion de flux. Ainsi, lorsque l’on observe les résultats du PSP de Vosgelis, on voit que la courbe du chiffre d’affaires est ascendante, tout comme celle du nombre de logements gérés et de notre capacité d’autofinancement.

Au début nous étions sur des mises de fonds propres de 36 à 37 %, un taux moins important que ceux que nous pratiquons dans les Vosges. Aujourd’hui nous faisons une pause et projetons nos opérations en 2026/2027, avec un taux de fonds propres de 30 % afin que les opérations réalisées en Alsace financent les suivantes.

Sans l’Alsace, le budget de maintenance du patrimoine de Vosgelis dans les Vosges, tomberait de 38,5 millions en 2023, à 25 millions d’euros par an en 2028. En intégrant le développement en Alsace, nous créons les richesses nécessaires pour le maintenir à 30 millions d’euros par an.

Fabrice barbe, directeur général de Vosgelis

La crise immobilière a donc contribué à accélérer votre développement…

La résidence L’envolée à Ernolsheim. 11 nouveaux logements sociaux Vosgelis. © Rück&Wind

Effectivement. Là où nous nous étions fixé un objectif de 150, puis de 100 logements par an, Vosgelis a augmenté son patrimoine de 400 logements en un an, l’Eurométropole de Strasbourg comprise. C’était une aubaine, or nous ne savions pas combien de temps la crise allait durer. C’est ce qui nous a incités à nous positionner lorsqu’une opération était attractive (par sa situation, sa correspondance avec les critères techniques de Vosgelis) et que l’on trouvait un accord sur le prix d’équilibre avec le promoteur.

Nous avons donc cumulé les opérations, les compétences des équipes Vosgelis nous permettant de sortir une proposition dans des délais très courts et de signer des contrats de réservation en moins d’un mois. Et qui plus est avec des prix accessibles et des prestations qualitatives et très engagées sur le plan environnemental. Notamment sur l’Eurométropole de Strasbourg qui, m’avait-on dit, était impénétrable et pour laquelle j’ai, aujourd’hui, l’opportunité de proposer des logements intermédiaires qui permettent aux classes moyennes de se loger sur Strasbourg et sa périphérie.

Les bailleurs sociaux y vivent une contrainte très forte et notre stratégie leur permet d’y faire face. Par exemple, les bailleurs strasbourgeois Ophéa et Habitation Moderne ont, dans leurs parcs respectifs, des quartiers classés en renouvellement urbain et sont contraints par la loi Elan à reconstruire leur offre. Or, lorsqu’ils démolissent un bâtiment, ils sont obligés d’avoir autant de logements disponibles à proposer pour reloger leurs locataires.

Vosgelis agit en partenaire, en donnant la priorité aux bailleurs alsaciens. Lorsqu’un promoteur me propose une opération en logement social, je transfère l’offre au directeur d’Ophéa en mettant le promoteur en copie. Ainsi, Vosgelis ne se positionne que s’il la refuse.

Autre exemple. Pour éviter l’inflation immobilière, l’Eurométropole de Strasbourg a créé la charte VEFA (vente en état de futur achèvement, ou « vente sur plan ») avec un prix d’achat fixé, dans le logement social, à 2 400 euros du m2.

Or, aujourd’hui, les promoteurs ne parviennent plus à gérer ce prix et ces opérations nécessitent le recours au logement intermédiaire où le prix est supérieur. Si Orphéa n’a pas les fonds propres nécessaires, Vosgelis se porte acquéreur des logement intermédiaires, lui permettant de continuer à proposer du logement social. Pour Vosgelis, les loyers étant plus importants, cela permet de réaliser une opération équilibrée.

C’est pour cela que Vogelis, bailleur social vosgien par définition, est considéré comme un partenaire en Alsace, pas comme un concurrent.

Quelle serait la situation dans les Vosges, si Vosgelis ne s’était pas déployé en Alsace ?

Sans l’Alsace, le niveau de maintenance du patrimoine dans les Vosges tomberait à 25 millions d’euros par an en 2028, alors qu’il était de 38,5 millions en 2023. En intégrant le développement en Alsace, nous pouvons le maintenir à 30 millions d’euros par an. C’est donc bien cette stratégie qui finance aujourd’hui la politique de Vosgelis dans les Vosges et lui permet de continuer à poursuivre ses ambitions pour accroître la qualité de son parc et proposer des services, sans en faire porter le coût par ses locataires.

Nous en sommes conscients, le fait d’avoir mobilisé une partie de nos fonds propres va provoquer « un trou d’air » en 2024. En revanche, dans quatre ans, notre capacité d’autofinancement, qui est de 19 millions d’euros actuellement, approchera les 25 millions.


Inauguration de la première agence Vosgelis dans le Bas-Rhin, à Haguenau, en présence de Marie-Odile Becker, adjointe au maire de Haguenau, entourée de Simon Leclerc, président de Vosgelis et Fabrice Barbe, directeur général de Vosgelis.
© Vosgelis

Peut-on dire que Vosgelis fait, aujourd’hui, partie intégrante des acteurs du logement social en Alsace ?

Vosgelis a intégré l’Areal (l’association régionale des organismes HLM d’Alsace) qui regroupe une trentaine d’organismes de logements sociaux. Nous sommes en contact et travaillons en bonne intelligence avec les élus, les bailleurs sociaux et les promoteurs alsaciens. La visibilité de Vosgelis est aussi réelle depuis l’inauguration de la première agence Vosgelis à Haguenau et le recrutement de deux collaboratrices alsaciennes qui connaissent parfaitement leur territoire.

Y a-t-il, en France, des bailleurs sociaux qui auraient étendu leur développement à un autre département ?

En France, il existe des bailleurs nationaux, comme Action logement ou CDC Habitat. Des bailleurs locaux qui agissent sur un territoire, comme Épinal Habitat. Mais Vosgelis est le seul à avoir entrepris une démarche de développement hors de son territoire d’origine. Cela a surpris tout le monde. À tel point que l’on m’a souvent demandé si nous en avions le droit. Le conseil d’administration de Vosgelis a compris et adhéré immédiatement au bien-fondé de la stratégie, et la démarche a été accueillie avec enthousiasme par les élus alsaciens qui ont apprécié sa vision novatrice et la qualité des services que Vosgelis propose à ses locataires. Ils en attendent d’ailleurs beaucoup pour faire face à un contexte difficile pour le secteur du bâtiment et la crise du logement.

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