Emploi des jeunes : “Il faut changer de prisme” selon Alain Maupetit, directeur des enseignes Les Matériaux Nouveaux Docks

Alain Maupetit, directeur des enseignes Les Matériaux Nouveaux Docks, essait de résoudre la difficile équation du recrutement des jeunes. Et si la réponse consistait à retourner la question ?
Le constat
Aujourd’hui, le travail n’est pas forcément l’objectif de chacun. Il y a encore quelque temps, on espérait prévoir et construire son avenir personnel par la rémunération qui lui est liée. Désormais, les jeunes se projettent moins dans le futur et recherchent un travail qui soit valorisant et confortable. C’est cette vision qu’ils partagent et qu’ils me décrivent lorsque je discute avec eux. Vu qu’ils représentent l’avenir, je me dis qu’ils ont raison !
La mentalité et le goût de l’effort vis-à-vis du travail ont évolué et c’est sans doute un bien. Cependant, c’est perturbant lorsque l’on a une culture et une éducation différentes. Car l’exigence de notre clientèle, elle, ne baisse pas. Elle est même supérieure à il y a quelques années, et nous devons continuer à lui rendre un service à la hauteur de ce que nous lui promettons. Et plus largement, pour parler à une clientèle plus jeune, nous devons recruter et former des jeunes.
C’est tout la chaîne générationnelle qu’il faut reconsidérer pour faire matcher recrutements et offre de service.

Une nécessaire remise en question
Cela implique de rencontrer des jeunes et de comprendre la nature de leurs aspirations afin de leur offrir quelque chose qui soit en accord avec leurs attentes profondes. Car c’est bien là que se trouve la clé du problème.
Lorsque nous postons des annonces sur Internet, nous récupérons tous types de profils. Il faut donc être très pertinent dès le titre de l’annonce, car personne, ou presque, ne lit son contenu. Par exemple, dans mon activité, la frontière entre le client et l’employé est matérialisée par le comptoir et, depuis la nuit des temps, ce poste est appelé « vendeur comptoir ». C’est jusqu’à présent ce terme qui apparaissait dans nos offres, et il arrive souvent que des barmen y répondent. C’est certes assez cocasse, mais cela prouve que nous devons abandonner nos habitudes et nous adapter à ce qu’ils entendent derrière les termes.
Cibler des profils très jeunes

Je viens de recruter un jeune de 16 ans qui a des difficultés d’adaptation avec le système scolaire traditionnel. Il n’est pas dénué de talents, simplement, il les exprime d’une autre manière. Notre objectif est de lui apprendre ce qu’est le travail et de l’amener à comprendre qu’il a sa place dans le monde professionnel. Plus tôt on peut le faire, plus on lui donnera des chances d’entrer dans le monde de l’entreprise. Je n’ai rien contre le système scolaire, mais je pense qu’il est au début d’une mutation et qu’il ne s’est pas encore adapté à ces jeunes qui ne se projettent pas dans les études et les diplômes. Il faut aujourd’hui en tenir compte en leur donnant un cadre d’enseignement concret où ils pourront s’épanouir. Trop souvent, on prend les jeunes qui vont dans les filières du BTP pour des nuls, alors qu’il faut simplement leur proposer d’autres méthodes.
Justement, c’est parce que les jeunes parlent autrement, pensent autrement et font autrement, qu’il est temps de nous remettre en question.
Comprendre leur vision
S’adapter n’a rien d’évident, car sur dix jeunes que je recrute, j’ai de la chance quand je peux en embaucher un. Il arrive que nous n’ayons pas les bons mots ou que notre accueil ne soit pas adapté. Ces jeunes – souvent issus d’une première sélection par les structures de formation du secteur qui les dirige vers nous –arrivent parfois par dépit, mais pas toujours. Certains ont des aptitudes et il suffit d’identifier la petite part d’envie qui n’est pas immédiatement perceptible pour les faire adhérer à l’entreprise et leur transmettre les savoirs techniques du métier. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas une plateforme de vente sur Internet. Dans nos métiers, nous avons besoin de compétences, mais aussi de qualités relationnelles. Cette nouvelle génération ne perçoit pas toujours l’importance du contact humain ; en revanche lorsque nous les amenons à en prendre conscience, ils s’aperçoivent que c’est très valorisant et ils y adhèrent.
Le modèle éducatif
Je pense qu’il faut revoir notre système éducatif dans sa globalité. Tout comme moi, des personnes qui travaillent dans l’Éducation nationale observent des déphasages entre l’enseignement et la réalité du terrain.
Il apparaît nécessaire, dans le contexte actuel, de changer de méthodes pour prendre en compte l’approche et les besoins des jeunes. On peut continuer à les contraindre pour les faire entrer dans notre moule, ça ne marchera jamais ! En revanche, si l’on recherche un consensus pour façonner un moule à leur image, on peut espérer des résultats.
Le jeune dont je parle, était bien sûr impressionné lorsqu’il a découvert le milieu du travail. Mais, pris en protection par tout le monde, il a pu être rassuré. Aujourd’hui, il commence à avoir des missions qui lui permettent de comprendre pourquoi il est nécessaire de les réaliser et en quoi leur résultante est bonne ou mauvaise pour l’entreprise. Le résultat est le même que lorsque les anciens apprenaient le métier, mais il n’est plus possible d’utiliser les méthodes ni les mêmes mots qu’à l’époque.
(Ré)apprendre à communiquer

Aujourd’hui, il faut être très agile dans l’adaptation (quelle que soit la branche du métier) et très réactif sur le sujet du recrutement. Un détail peut tout faire basculer. Il faut être attentif pour identifier ce détail (dont on n’aurait pas fait cas il y a quelques années) afin de l’aborder rapidement et de résoudre certaines les situations.
Le groupe dont nous faisons partie a pris un engagement envers un professionnel qui propose un accompagnement sur le management générationnel. Je ne peux que constater que cela m’apporte des choses : cela m’aide à communiquer avec des profils différents et à analyser à mon positionnement. Le problème central, c’est toujours la communication. On parle tous du même sujet et du même problème, mais pas de la même façon. Là encore, il faut être très attentif et faire l’effort d’écouter l’autre pour comprendre ce qu’il a envie d’exprimer, avant de dire si cela est bien ou mal.

L’IA facteur d’attractivité
On est obligé de mener une réflexion profonde sur ce sujet sur différents aspects : vente, achat, marketing et, bien sûr, les ressources humaines. Si l’on ne prend pas le train de l’IA, on va rater les jeunes car c’est un facteur d’attractivité pour les entreprises et le commerce ; tout comme cela le fut lorsqu’Internet est apparu.
Aujourd’hui, on ne peut rien faire sans le Web, demain rien ne sera possible sans l’IA.
L’externalisation du recrutement
Il n’est pas question d’externaliser les compétences dont la société a besoin quotidiennement. Néanmoins, nous avons dû temporairement déléguer la partie RH à une autre société de notre groupe car le recrutement pour ce poste est complexe. Nous ne voulons pas nous tromper car il est justement la clé du problème que nous évoquons. Cependant, cela s’est avéré assez cohérent, car cette société est très étoffée et met à notre disposition des collaborateurs, hommes et femmes d’âges différents. Cette diversité de profils facilite la relation avec le salarié qui formule une question et améliore la compréhension des réponses qui lui sont faites.
Si l’on trouve un consensus pour façonner un moule à leur image, on peut espérer des résultats.
Ce que j’en retiens, c’est que chaîne générationnelle est essentielle pour établir une communication optimale et durable, et que cette délégation nous permet de nous en approcher. Le seul problème, c’est que le personnel RH n’est pas présent sur le site. En vérité, ce n’est un problème que pour moi, car ce n’est pas indispensble pour les jeunes. Alors je m’adapte… Et finalement, je me rends compte que ce n’est pas la plus mauvaise solution.

Les réseaux sociaux
Sous réserve d’utiliser les bons canaux, les réseaux sociaux sont des outils de diffusion performants pour recruter des apprentis. Actuellement, nous réalisons et postons des portraits vidéo de nos apprentis, sur l’exemple de ce que fait la fédération du BTP des Vosges avec #Teambtp88.
Dans nos « Paroles d’apprentis », le jeune explique, avec ses propres mots, comment il est arrivé dans la société, ce qu’il y fait et comment il le fait. C’est un moyen efficace pour capter cette génération qui formera l’entreprise de demain. Ils sont nos meilleurs ambassadeurs car ils mettent en valeur les points les plus importants qui sont justement ceux que les jeunes attendent. Ça l’est d’autant, si c’est le jeune qui a pris la parole qui l’accueille lorsqu’il arrive dans l’entreprise.
Le management du dirigeant
L’image du dirigeant d’entreprise qui décide et fait appliquer sa décision est, quant à moi, de plus en plus difficile à tenir. Aujourd’hui, lorsque je souhaite mettre en œuvre une idée, je l’exprime et je la partage afin de voir si elle suscite l’adhésion ou non. C’est seulement là cette condition que je peux la déployer et l’appliquer. C’est parfois perturbant, mais il faut le faire et pratiquer le consensus dans l’intérêt de l’entreprise, tout simplement. C’est indispensable pour continuer à avancer.
La moyenne d’âge des responsables de la société est de 45 ans. C’est l’âge des parents des jeunes que nous accueillons. Ils doivent se rendre compte que toutes leurs certitudes ne sont plus forcément valides et que leurs repères doivent évoluer. Les compétences sont importantes, mais les valeurs et la créativité le sont tout autant. C’est d’autant plus vrai avec l’IA arrive tel un tsunami et va renverser tous nos repères sur son passage. Ce n’est pas de la science-fiction mais un défi qu’il faut réussir.
« Voici en quelques traits, notre méthode pour recruter et fidéliser les jeunes. Faire évoluer les choses qui ne sont plus d’actualité dans un sens différent, c’est mon travail au quotidien. Mais cela nécessite que l’ensemble des acteurs de l’entreprise soient convaincus de son bien-fondé. »

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