Alex Lutz, maître du temps

L’artiste strasbourgeois révélé pour ses rôles comiques a dévoilé, au fil des années, ses multiples talents sur les
planches comme devant ou derrière la caméra. Il confirme aujourd’hui avec Connemara, adaptation du roman éponyme de Nicolas Mathieu, qui porte tout autant sa patte que celle de l’auteur vosgien. Et cela n’a rien d’un hasard.
Le timing est parfait. Alex Lutz s’offre la rentrée comme un rendez-vous parfaitement réglé, où les projets et actualités ne se sont jamais autant croisés. Depuis le 3 septembre, l’artiste multicasquette est à l’affiche, face caméra, de Fils de, satire politique de Carlos Abascal Peiro où l’acteur campe un cadre de parti aux dents longues. Son spectacle Sexe, grog et rocking chair s’apprête à repartir en tournée pour un moment… alors que sort en salles son cinquième film en tant que réalisateur, l’adaptation du roman Connemara de Nicolas Mathieu.
Le territoire au cœur
Alex Lutz qui rencontre Nicolas Mathieu, c’était écrit : natif de l’Est, l’acteur et metteur en scène alsacien, qui compte de la famille en Moselle et dans les Vosges, du côté de son épouse, cultive un attachement à son territoire comme le lauréat du Goncourt 2018… et comme Emmanuel Georges, qui va produire le longmétrage, tourné à Épinal. Et puis, il y a le roman en tant que tel. Un récit de transfuge de classe où deux destins se (re)croisent : celui d’Hélène qui a quitté les Vosges pour tenter sa chance ailleurs et celui de Christophe, bel hockeyeur des années lycée qui y est resté. Au fil des années, un malaise existentiel s’est installé chez eux : promis à un brillant avenir, elle a fini par exploser en vol et ses rêves de carrière à lui sont désormais lointains.
L’horloge tourne
Le temps qui passe, qui file, fait son œuvre et transforme des destins, pour le meilleur et pour le pire… « C’est le thème de roman, de film, le plus arrachant qui me passionne le plus » a confié à plusieurs reprises Alex Lutz en interview. C’est ainsi que d’un livre de Nicolas Mathieu, Connemara est devenu un film d’Alex
Lutz, où les souvenirs surgissent par petits bouts, où l’on mesure le chemin parcouru et on se rend compte de l’inexorable passage du temps. C’était déjà le cas dans Guy, deuxième film de Lutz (2018) et formidable docu-fiction où il campait une ancienne gloire de la chanson au crépuscule de sa vie, filmé par un fils caché qui lui dissimule sa véritable identité. Il en allait de même avec Une nuit, son film d’avant Connemara, où son personnage vivait une aventure faite de déambulations nocturnes avec une femme rencontrée par hasard dans le métro… Une histoire appelée à cesser alors que l’aube pointe le bout de son nez. On retrouvait même l’ombre de cette obsession chez Catherine et Liliane, duo de femmes entre deux âges et deux époques, qu’il a fait vivre pendant sept ans avec son acolyte et ami Bruno Sanches dans le cadre d’une pastille humoristique télévisée au mitan des années 2010.

Artiste multiple
En plus d’avoir une palette artistique ultra étendue, l’écriture et l’univers d’Alex Lutz se révèlent en couches successives. Comme quand le grand public le découvre en 2009 dans le premier volet d’OSS 117 avec Jean Dujardin. Il y incarne un nazi sous couverture, qui cache sa vraie nature sous des fripes de hippie.
À l’époque, le jeune homme roule déjà sa bosse dans le milieu artistique en montant ses premiers spectacles et en apposant sa patte sur ceux des autres.
C’est ainsi qu’il rencontre la pionnière du one-woman show, Sylvie Joly, dont il co-écrit et met en scène le dernier spectacle, La cerise sur le gâteau, en 2005. En
retour, la comédienne, qui l’a pris sous son aile, mettra en scène son premier one-man, Triple Lutz… titre qui installe déjà l’idée d’un artiste multiple capable
de camper des personnages aux opposés les uns des autres. Suivra un autre seul en scène (qui aura pour seul nom de baptême celui de son auteur) qui lui a
permis d’affûter son écriture, qui s’affirme à chaque fois plus sensible et poétique. Un talent couronné par un Molière de l’humour en 2015, année où il réalise son premier film, Le talent de mes amis, avec l’inséparable Bruno Sanches, et son deuxième complice, Tom Dingler. L’acteur est et demeure son homme de l’ombre, coauteur de Catherine et Liliane et de pas mal de ses spectacles.
Mémoire de nos pères
Son talent à lui, est définitivement révélé en 2018 dans Guy, qu’il réalise et écrit, en plus d’interpréter le rôle principal qui lui permet de repartir avec le César du
meilleur acteur, l’année suivante. Le film s’ouvre sur une discrète dédicace : « à nos pères ». Il évoque avec pudeur les relations délicates et contrariées d’un père et de son fils, et du temps, toujours, « qui part comme du sable ». La perte, le comédien va la vivre durant l’écriture du scénario de Connemara, qui coïncide avec la disparition de son père. Une figure de père, présente en arrière-plan dans le livre et qui rejaillit dans le film, à travers le personnage de Jacques Gamblin, lumineux paternel à la mémoire défaillante, dont Christophe, le sportif qui a raté son envol, a la charge au quotidien. Une figure de père à qui il rend hommage dans Sexe, grog et rocking chair, son dernier spectacle qu’il a écrit lui-même et qui est sans surprise son plus personnel. « Faire un spectacle rigolo et mon père est mort, c’est deux trucs qui ne vont pas vraiment bien ensemble. Ça te donne la sensation d’une journée où tu dois pratiquer une autopsie à 11 h 20 et faire du paddle à 13 h 15 » lance-t-il aux spectateurs pour les mettre dans l’ambiance. Accompagné sur scène de ses chevaux (son autre dada, qui s’observe dans la plupart de ses œuvres), il signe un spectacle remarqué sur la transmission… promis à une longue et belle carrière, comme celle de son auteur. « J’aime bien
jouer mes spectacles longtemps » a déclaré celui qui a beaucoup fait évoluer son premier spectacle avant de passer à la suite. « Celui-là va exister au moins deux ans » : parole de « chronophile ».
TRIPLE RENTRÉE POUR ALEX LUTZ
- Connemara
Un film d’Alex Lutz, d’après le roman de Nicolas Mathieu. Avec Mélanie Thierry, Bastien Bouillon, Jacques Gamblin…
1 h 52.
Sortie en salles le 10 septembre.
- Fils de
Un film de Carlos Abascal Peiro.
Avec Jean Chevalier, François Cluzet, Karin Viard, Alex Lutz…
1 h 45.
En salles.
- Sexe, grog et rocking chair
Un spectacle d’Alex Lutz.
En tournée