Pouvoirs d’éternité : 11 enquêtes archéologiques sous le prisme criminalistique
Francis Janot est égyptologue. Dentiste de formation, c’est finalement vers l’archéologie funéraire durant l’Égypte ancienne qu’il se destine, lorsqu’il bifurque vers l’École des langues orientales anciennes pour apprendre à déchiffrer l’écriture hiéroglyphique égyptienne. Mais très tôt, il va se former aux techniques criminalistiques afin de voir un indice dans chaque artefact et d’analyser les sites inviolés à l’instar de scènes de crime. Dans cet ouvrage paru en avril dernier, il restitue des séquences opératoires de découvertes qu’il a réalisées durant sa carrière, proposant une lecture scientifique et accessible de différentes de scènes d’archéologie funéraire. Rencontre avec un égyptologue atypique passionné.
Francis Janot est professeur associé à l’Université de Nancy et membre de l’Académie nationale de chirurgie dentaire (en 2008) et chargé de mission auprès de l’Institut français d’archéologie orientale, Le Caire. Créateur d’un Master de techniques criminalistique et archéologie, il est l’auteur de Criminalistique, indices et traces en archéologie – PUF (2019) et de plusieurs ouvrages aux Presse Universitaire de Nancy, dont Enquête dans la nécropole de Saqqara, Le nouveau mystère de la chambre jaune (2014), Les mystérieuses bagues de la momie de Turin (2012), deux campagnes archéologiques auxquelles il consacre un récit dans Pouvoir d’éternité.
LE LIVRE
En novembre 1985, dans la Vallée des Reines (voir Le serviteur oublié de la Reine), une pierre à la forme insolite roule d’une « touri » jusqu’aux pieds de Francis Janot. Très vite, elle révèle un fragment de statuette qui faisait partie du trousseau funéraire d’une reine… De là, une foultitude de questions sur ces objets investis par la magie va occuper l’esprit du jeune archéologue. En 1986, lors du déblaiement de la tombe n° 53 du ouadi de la Vallée des Reines, deux cent soixante-seize adultes anonymes et les cendres de nombreux autres sont mis au jour. Parmi eux, un morceau de terre cuite qui, à la fin d’un improbable puzzle, prendra place pour former la représentation d’une jeune fille réalisée en haut-relief, ornant un couvercle tout à fait original…
Des artisans dont on peut percevoir les défauts et les tentatives de délit, comme Francis Janot le raconte dans Les bijoux insoupçonnés du musée, qui révèlent également des loupés archéologiques surprenants. Il nous livre également l’analyse d’un ensemble funéraire complet, découvert en 2004, dans le caveau inviolé d’un dénommé Iâhmès, permettant de saisir la puissance de la symbolique rattachée à « trois objets funéraires suffisants pour permettre à un homme d’un rang social élevé, d’accéder à la vie éternelle dans les meilleures conditions »…
Au travers de ces onze récits, ce sont plus de trente années de fouilles que Francis Janot relate. Des instants de vie où l’on peut saisir la surprise et l’émotion liées aux découvertes, mais aussi l’importance de l’humilité face à la nature, au hasard et à cette civilisation disparue.
L’ARCHÉOLOGUE DES ANONYMES
« Je ne suis pas un vrai égyptologue… Un égyptologue est d’abord un philologue, un « lettreux ». Ce qui l’intéresse, c’est le texte et l’architecture. Lorsqu’il arrive dans une tombe, il ne sait pas forcément aborder la scène qu’il a sous les yeux. Ne possédant pas une formation en anatomie, il lui est difficile de manipuler les corps. Pourtant, sans Égyptiens, la civilisation égyptienne n’existe pas !
Ce qui m’intéresse moi, ce ne sont pas les pharaons qui sont des personnages puis- sants déconnectés du réel. Ce sont les gens ; les anonymes. Les hommes, les femmes et les enfants, ainsi que les artisans qui ont fabriqué les objets funéraires. Par exemple, la découverte de la tombe inviolée de Saqqarah, en 2010, n’a pas intéressé les égyptologues classiques car elle ne contenait ni textes ni objets précieux. En revanche, elle a captivé le spécialiste des rituels funéraires que je suis. C’est pour cela que j’ai reçu cette découverte comme un cadeau des dieux… Car tout ce qui m’inté- resse était réuni, là.»
TELLE UNE SCÈNE DE CRIME
« Une scène d’archéologie funéraire, c’est exactement comme une scène de crime ! On doit saisir l’instant, au travers de la disposition des corps, la mise en scène théâtrale et les gestes opératoires que l’on peut mettre en évidence. Si l’on entre tout de suite, on fait des erreurs en déplaçant des objets ou en laissant des traces.
Mon rôle est d’aller au-delà du travail des archéologues qui consiste à décrire de la tombe et les objets. Ce qui est important pour moi, c’est l’archéologie évènementielle qui vise à reconstituer les évènements qui se sont succédé à partir des éléments présents. Ces schémas funéraires que je décris dans le livre, bien qu’ils soient inhabituels, proposent un discours scientifique rigoureux.
Par exemple, on retrouve souvent des empreintes digitales, mais personne n’a encore eu l’idée de les étudier. J’ai réalisé cette expérience au musée de Turin en 2005, sur un lot de statuettes funéraires en terre cuite. On a pu identifier celles qui avaient été fabriquées par le même artisan, mais aussi reconstituer le geste qu’il faisait lorsqu’il a laissé ses empreintes. Il ne nous manquait que sa momie pour, à partir de ses empreintes digitales identifier cette personne. »
QUI ÉTAIENT LES ÉGYPTIENS ?
« La société égyptienne était parfaitement organisée et réglementée. Pour ce qui est des pratiques funéraires, nous avons même retrouvé des procès entre embaumeurs. Nos actes de propriété sont les mêmes, ils sont simplement devenus plus compliqués et tiennent sur soixante-dix pages au lieu d’être inscrits sur un morceau de papyrus ou un tesson de poterie. Même si l’on n’a pas retrouvé de papyrus décrivant une nécropole et les concessions funéraires, on peut penser, que les Égyptiens possédaient un plan pour savoir où inhumer les morts d’une même famille. On peut tout à fait imaginer que, dans la Vallée des Reines que les Égyptiens appelaient « la place de beauté », chaque sépulture aristocratique possédait un jardin particulier que des gardiens entretenaient…
Pour autant, il faut être modeste et savoir rester au plus près de la vérité. Par exemple, dans la nécropole de Saqqarah, j’ai trouvé le corps d’une dame, encore emballé dans des linges, posé sur une natte en dessous de laquelle une bourse de cuir contenait une paire de chaussures. Des « Clarks » bicolores avec des lacets ! Comme la marque de chaussures que nous connaissons. Voulant retrouver les gestes du cordonnier égyptien qui les avait fabriquées, j’ai pris contact avec la maison Hermès pour rencontrer ses maîtres cordonniers… Je leur montre les photos et ils reproduisent facilement la chaussure et me montrent aussi le geste qui avait été fait par l’artisan égyptien pour réparer le lacet !
Un problème se pose aujourd’hui : quand ce savoir ne sera plus transmis, nous ne pourrons définitivement plus retrouver les gestes pratiqués ou les outils utilisés… »
