La Vosgienne Lucie Morel primée du prix Prima Bula 2025

Originaire d’Épinal et diplômée de l’École supérieure d’art de Lorraine, Lucie Morel, 34 ans, vient de recevoir le prestigieux prix Prima Bula 2025 pour son tout premier album Toc toc, publié aux éditions Même pas mal. Cette bande dessinée autobiographique, amorcée après ses années aux Beaux-Arts, aborde avec sensibilité les troubles obsessionnels compulsifs dont elle souffre depuis l’enfance. Entretien avec une jeune autrice en pleine lumière.
Lucie Morel, félicitations pour ce prix ! Comment avez-vous accueilli cette distinction lors du festival Formula Bula ?
Je n’y croyais pas ! Vraiment. J’ai tellement travaillé sur ce projet, galéré à trouver une maison d’édition… En plus, j’étais en concurrence avec des auteurs déjà reconnus. Sur le moment, je n’ai pas réalisé, quand ils ont prononcé mon nom, j’ai cru rêver. Il y avait mes amis, ma famille, ma sœur… Je me suis mise à pleurer. J’étais surprise, mais c’est une belle consécration. Ce genre de prix, j’en avais rêvé plein de fois, mais le vivre en vrai, c’était fou !
Avant de parler de votre livre, revenons un peu en arrière. Pouvez-vous nous parler de votre enfance à Épinal et de votre parcours jusqu’à l’école d’art ?
Je suis née à Épinal, mais j’ai grandi à Moyenpal, un petit village près de Xertigny. Ma mère était institutrice et nous habitions avec mes sœurs et mon père l’appartement au-dessus de l’école. J’étais une enfant joyeuse, mais assez angoissée et inquiète, notamment face aux questions liées à la mort. La sœur de ma mère a eu un grave accident de voiture et est restée handicapée. Je ne m’en souviens pas directement, mais ça a été un choc pour toute la famille. Plus tard, nous avons eu nous-mêmes un accident de voiture, ma mère, ma sœur et moi. Rien de grave, mais cela m’a fait prendre conscience que la vie ne tenait qu’à un fil. C’est à ce moment-là que mes TOC sont apparus, ça me permettait de me rassurer.
Concernant mon cursus scolaire, j’ai obtenu mon bac au lycée Claude-Gellée à Épinal. Ensuite, j’ai fait un an de fac de sociologie à Nancy tout en préparant le concours des Beaux-Arts d’Épinal, Nancy et Metz. Je voulais entrer à Nancy, car mon amie Justine (qui apparaît dans la BD) y était déjà. Finalement, j’ai été acceptée à Metz. Sur le moment, j’étais déçue, mais j’y ai rencontré d’autres amis précieux.
Dans Toc toc, vous signez votre premier album. Avez-vous travaillé seule sur le scénario et le dessin, ou en collaboration ?
C’est un projet autobiographique. Aux Beaux-Arts, je travaillais beaucoup sur la question de la folie, mais sans parler de moi. Après mes études, j’ai repris une thérapie, mes TOC sont revenus et ma psy m’a dit : « Vous devriez écrire un livre. » À l’époque, il existait peu d’ouvrages sur le sujet, surtout pas en bande dessinée. Je me suis dit : « Ok, je vais en faire une BD. » Comme je dessine et que c’est mon histoire, je pensais que ce serait plus simple. Mon idée, c’était de montrer ce que sont les TOC à travers le dessin. Le processus a été long. J’ai d’abord présenté ces dessins dans des expositions avant qu’elles ne prennent la forme d’un livre. En 2018, j’ai eu une bourse d’aide à l’écriture de la ville de Metz, ce qui m’a aussi permis de me lancer.
Sans tout dévoiler, pouvez-vous nous présenter l’histoire de Toc toc et ce que vous souhaitiez transmettre ?
Les TOC sont difficiles à comprendre pour l’entourage. On met en place des rituels pour apaiser une angoisse, tout en sachant que cela n’a pas de sens, mais c’est tellement puissant qu’on ne peut pas résister. Cela crée parfois des tensions avec les proches. J’ai beaucoup lu et regardé de contenus d’experts sur le sujet. J’ai souvent dû expliquer mes TOC, dire que ce n’est pas juste « vérifier deux fois qu’on a fermé la porte », mais une véritable maladie qui peut être très handicapante. Ce que je voulais, c’était donner accès à l’intérieur de ma tête, raconter mes propres TOC. Parce que je peux parler de mon expérience, mais pas de celle des autres. Beaucoup de personnes n’osent pas en parler, par honte. Moi, j’en ai toujours parlé, et je pense que c’est ce qui m’a sauvée. L’objectif, c’était d’aider ceux qui en souffrent à s’exprimer et, en même temps, de permettre aux autres de mieux comprendre et d’être plus tolérants.
Vos troubles obsessionnels compulsifs sont au cœur de l’album. Était-ce difficile de transformer une expérience intime en œuvre de création ?
Oui (rires) ! Au début, comme je disais tout à l’heure, je pensais que ce serait simple parce que c’est mon histoire et que je sais dessiner. Mais j’ai été naïve, je n’avais jamais fait de BD, j’avais seulement 27 ans et je me suis vite rendu compte que c’était extrêmement difficile de mettre de la distance. Raconter sa vie, ça ne suffit pas. Il fallait que ce soit universel. J’ai dû transformer des personnes réelles en personnages de fiction, caricaturer certains aspects. Et par respect pour ma famille, je ne pouvais pas tout dévoiler. Il fallait raconter mon histoire sans faire de mal. Ce n’était pas évident de garder en tête ce que je voulais transmettre, sans tomber dans le règlement de comptes. C’est ce qui a rendu le projet si long, au départ, je voulais tout dire sans filtre, puis j’ai compris qu’il fallait choisir.
Qu’aimeriez-vous que vos lecteurs retiennent en refermant votre bande dessinée ?
Qu’il ne faut pas juger sans connaître. Les TOC, la dépression, ce sont de vraies maladies. J’aimerais que les gens s’y intéressent, se renseignent, posent des questions aux personnes concernées au lieu de juger trop vite. J’aurais aimé, par exemple, qu’un livre existe à l’époque pour aider ma famille à comprendre ce que je vivais. Quand on est jugé ou incompris, c’est très difficile à porter. Alors j’espère que ce livre permettra un peu plus d’empathie et de compréhension.
Et enfin, maintenant que ce premier album est couronné d’un prix, avez-vous déjà de nouveaux projets en tête ?
Oui. J’aimerais réaliser d’autres bandes dessinées, mais sans doute pas avec la même intensité car Toc toc a été un projet très éprouvant. Lors de mon parcours, notamment à la Maison des auteurs d’Angoulême, on m’a proposé de préparer un doctorat artistique à Amsterdam, une thèse en bande dessinée autour du dessin et de la santé. C’est une très belle opportunité. C’est un domaine encore très peu exploré, et depuis février je m’y consacre au maximum, car je devais terminer mon livre en parallèle.