Dans les secrets de l’orgue : les tuyaux de la passion à Rambervillers

La Manufacture Vosgienne de Grandes Orgues à Rambervillers. Les techniques ont peu changé. Ici, on préserve un savoir-faire ancestral, pour des instruments-meubles qui trônent au fond des églises ou dans de prestigieuses salles de concert.
Vincent Bigerel vient tout juste d’être recruté par la Manufacture Vosgienne de Grandes Orgues, en mars 2013. Dix ans presque qu’il n’y avait plus eu d’embauches.
À 23 ans seulement, le jeune homme pratique un métier peu connu en France, celui de menuisier-ébéniste d’orgues. Au départ, ” la base de l’orgue c’est comme pour un meuble ordinaire. J’ai d’ailleurs suivi un bac pro de menuiserie dans un lycée technique en Meurthe-et-Moselle “, analyse le professionnel.
Ensuite, c’est un métier pour lequel la polyvalence est de mise : des compétences en électricité pour câbler l’orgue, de la ferronnerie pour les tuyaux Être aussi un peu musicien peut aider. Vincent par exemple, est titulaire des grandes orgues des paroisses Saint-Pierre et Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy.
” On apprend beaucoup sur le tas, on se remet en question sans cesse. Il faut adapter chaque instrument à la sonorité du lieu. On ne s’ennuie jamais, on ne fait jamais les mêmes pièces. Il n’y a pas de routine. “
Vincent est en plein travail sur le grand projet qui occupe les quatre salariés de l’entreprise : un orgue pour l’église de Saint-Jean-aux-Bois (Oise) et ses 800 tuyaux. Cet orgue disposera d’une technique inédite en France : grâce à un partenariat avec la société Allen (Etats-Unis) spécialisée dans la musique électronique, l’orgue mélangera sonorités naturelles et numériques simultanément.
Un chantier d’ampleur qui demande une année de mise au point. Comme d’autres par le passé : en 2010, à Jérusalem, à l’école biblique et archéologique française, en Arménie en 2012 pour un milliardaire qui a équipé son église privée, protégée par des gardiens armées dans la banlieue de la capitale. Mais aussi en Australie, en Outre-Mer, au Japon, en Italie, au Maroc, au Chili, Un bon facteur d’orgues est un efficace globe-trotter !
La manufacture la plus vieille au monde encore en activité continue son oeuvre et peut se glorifier de la réalisation d’instruments de prestige comme l’orgue monumental du mythique studio 104 de Radio France à Paris dont les 101 jeux ont rejoint une église de Lille en 2003.
Comment envisager l’avenir au XXIe siècle alors que les pratiquants désertent les lieux de culte ? ” Les églises françaises se vident et sont parfois vendues. Mais on ressent que les églises prennent en considération cet instrument et veulent le préserver, peut-être pas autant qu’en Allemagne où les fidèles sont très attachés à leur orgue “, tempère Léa Rochotte à la Manufacture, la mère de Sylviane Rochotte qui a repris l’entreprise aux côtés d’Yann Michel en 2007.
Depuis, l’entreprise s’est recentrée sur le secteur vosgien et la région parisienne, grâce au facteur d’orgues Bernard Dargassies. ” Beaucoup d’églises, de temples protestants, de synagogues et des particuliers qui possèdent des orgues dans leur salon “, appuie Léa Rochotte.
Au sein de cette entreprise immuable, sentinelle d’un savoir-faire fragile, tout est fait pour continuer la tradition le plus longtemps possible : ” C’est un métier qui n’est pas protégé, on a eu dans beaucoup d’églises des gens qui s’improvisaient dans le bricolage des orgues sans rien y connaître et qui manquaient d’outillage. Ce sont des orgues que l’on retrouve massacrées, avec des tuyaux abîmés “, déplore Michel Garat, employé de la Manufacture.
Plus que jamais, la nécessité de veiller sur l’or musical vosgien et de ne pas le laisser disparaître un patrimoine bien embouché.
Sur place, visites guidées de mars à octobre, le 1er vendredi du mois, de 14h à 17h à Rambervillers.
Aux Archives départementales des Vosges, 4 avenue Pierre Blanck Épinal Jusqu’au 16 mai, entrée libre.