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Manufacture Royale de Bains-les-Bains : la passion des vieilles pierres de la famille Cornevaux

Le 19 janvier 2021 par Muriele Charlet-Dreyfus
Martine Cornevaux devant la Manufacture Royale.

Martine Cornevaux mène sa vie tambour battant. Avec François, son mari, elle a dédié son existence à redonner vie à des châteaux. L’heure de la retraite sonnant, tous deux ont décidé de mettre en vente la Manufacture royale de Bains-les-Bains pour migrer en douceur vers le Sud.

QMartine Cornevaux, que faisiez-vous avant de vous lancer dans la rénovation de châteaux ?

Martine Cornevaux – Mon mari et moi, on s’est mariés, il y 47 ans, en moto ! On avait 18 et 19 ans. Il a été plusieurs fois vainqueur de rallyes africains. Au départ, il était prof de maths puis il est devenu concessionnaire moto. Moi, je travaillais dans la communication. Je donnais des cours à la fac. On est un peu intello mais on est aussi très techniques. On n’avait pas d’enfant, je prenais l’avion toutes les semaines pour aller à Lyon, à Paris mais on est toujours restés ancrés dans la région.

Comment avez-vous appris l’art de la rénovation ?

M. C. – Ma belle-mère nous avait donné une petite maison que l’on a retapée. On a appris sur le tas. Quand notre fille est née en 1988, on a voulu acheter un château près de Frouard mais il a été préempté par la mairie. Avec le même budget, on s’est rabattus sur le Point du jour à Dommartemont. Au bout de cinq ans, un acquéreur nous a demandé si l’on voulait vendre. Le week-end, quand on n’était pas en rallye, on visitait le patrimoine. C’est comme ça qu’on est tombés sur le château Saint-Léopold à Lunéville.

Quel genre de château était-ce ?

M. C. – Il était à l’abandon. Et il était hanté … Hanté pour de vrai ! Comme on n’est pas pétochards ni inquiets, ça ne nous a pas dérangés. C’était une entité féminine qui s’est
manifestée à plusieurs reprises et qui nous a accompagnés pendant des années. Tout le temps qu’on a habité là, on n’a jamais eu de soucis, même pas mal aux dents ! On l’a retapé entre 1993 et 2006 puis on l’a revendu. On aime retaper, habiter dans le bazar.

Et donc comment êtes-vous arrivés à Bains-les-Bains ?

M. C. – Le hasard ! Un copain a vu une annonce dans le journal. On devait acheter à quatre. Et puis l’autre couple s’est dégonflé, on a laissé courir. Et six mois plus tard, le propriétaire nous rappelait. Il avait divisé le prix par deux. On s’est lancés ! Mais on n’avait pas encore vendu le château de Lunéville. L’entité ne voulait pas qu’on parte ! Saint-Léopold nous collait à la peau ! Enfin, on a trouvé un couple d’Italiens avec lequel on est devenus amis. La nouvelle propriétaire, Veronica Liari, a écrit un livre sur le fantôme : Saint-Léopold ou l’éternité pour Jeanne. On est toujours restés attachés à ce château.

Mais comment faisiez-vous avec deux châteaux sur les bras ?

M. C. – Ça a été deux années de galère. Mais la Manufacture de Bains-les-Bains nous a tout de suite portés. C’est un choix dingue. Comment penser que deux particuliers s’engageraient dans un patrimoine industriel comptant 15 000 m2 de toiture et 10 000 m2 de terrain ? Mais on a toujours eu de la chance : grâce à nos confrères journalistes, on a eu des tournages de films. « Indigènes » de Rachid Bouchareb a été tourné chez nous ! Sami Naceri a beaucoup sympathisé avec mon mari. Il était vainqueur de rallyes en Algérie. Alors retrouver l’Afrique au fin fond des Vosges, ça lui a plu. Ils ont fabriqué les décors dans les bâtiments. Des copains journalistes ont fait des papiers, ça nous a aidés. On s’est dit : il faut ouvrir le domaine au public ! La manufacture de Bains-les-Bains était la plus grosse ferblanterie d’Europe. Les anciens ouvriers sont venus, ils nous ont écrit leur histoire. Après le film, on a fait des portes ouvertes. Et en 2005, on a créé l’association des Amis de la Manufacture. On a pu récolter des fonds pour faire les vitraux et la toile du chœur de la chapelle. On n’a pas tout fait d’un coup. On s’autofinançait : on a retapé un appartement, deux, puis trois. Aujourd’hui, il y en a onze. On a aussi des gîtes pour les touristes car Bains-les-Bains est une ville thermale. On ouvre pour les journées des jardins et du patrimoine. On a eu aussi des reportages avec les télévisions allemande et belge. « Maintenant » avec Jean-Claude Dreyfus, « Le voyageur » avec Eric Cantonna. Quand on a des équipes sur place, ils savent qu’on peut leur apporter une aide technique et qu’ils trouvent tout, y compris la forêt, les halls monumentaux. Et on va avoir une série sur une saga féminine.

Avez-vous reçu beaucoup de prix ?

M. C. – Oui, en 2010, le 1er Prix national France TV/CIC « J’aime mon Patrimoine » grâce à l’émission des Racines et des ailes. On a gagné le vote des téléspectateurs. En 2015, on a reçu le prix « Femmes de l’économie » Grand Est, le prix Madame Commerce de France « Trophée des Régions CEFEC ».

Pouvez-vous nous parler de Julie Victoire Daubié ?

M. C. – Julie Victoire Daubié, la première bachelière de France, est née ici. On s’est battus pour que sa maison reçoive le label « maison des illustres » du Ministère de la culture en 2018 (il y en a deux en Lorraine, l’autre étant celle de Jeanne d’Arc).

Et quels sont vos projets aujourd’hui ?

M. C. – On a bossé 15 heures par jour. Mais aujourd’hui, on veut passer la main, descendre vers le Sud pour se rapprocher de notre fille. On n’est pas pressés.

Et si c’était à refaire, que changeriez-vous ?

M. C. – Mon mari serait resté prof pour avoir plus de temps libre. Mais moi, je ne changerais rien à ma vie trépidante.

Manufacture Royale : le plus beau site industriel de Lorraine

La Manufacture Royale de Bains-les-Bains a presque trois siècles. Si elle pouvait parler, elle nous raconterait qu’elle a été fondée en 1733 par Georges Puton, Maître de forge visionnaire. Château, chapelle et logements ouvriers ont été construits entre 1733 et 1737 puis la halle au charbon en 1779. On dénombre 600 ouvriers travaillant et logeant sur le site en 1764. Elle est rachetée en 1777 par Claude Thomas Falatieu, qui y ajoute une fonderie, un atelier de fabrication, un canal et une nouvelle étamerie afin de donner un essor à l’usine. Le fer blanc est abandonné au XIXe siècle au profit des clous à chevaux, avant de devenir une saboterie. Aujourd’hui, elle est le plus ancien site industriel de Lorraine dans cet état de conservation. Le 26 mars 1824, elle voit naître Julie Victoire Daubié dont le père est caissier. Elle se bat pour obtenir en 1844 son « Certificat de capacité » puis elle devient la première bachelière française en 1861. Journaliste économique, elle décroche sa licence ès lettres en 1871, sans avoir assisté aux cours réservés aux hommes ! En 1839, la Manufacture accueille Camille Benso di Cavour, journaliste, économiste, homme politique et architecte de l’unification italienne. Au XXe siècle, la Manufacture est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, ouvre ses portes au public et participe à de nombreuses manifestations autour du patrimoine.

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